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politique du jour un homme qui a dirigé avec fracas les affaires de la nation, qui a eu tous les secrets de la diplomatie, qui est censé connaître l’état des autres pays ! Il n’y a pas même dans ces billevesées de quoi abuser les crédulités les plus naïves.

Où donc M. Crispi a-t-il vu « qu’en France la question romaine reste toujours ouverte ? » Est-ce parce qu’il y a entre notre pays et le saint-siège des rapports traditionnels nécessaires, que tout régime régulier, à demi éclairé, s’étudiera à maintenir ? Assurément la France, sous la république comme sous la monarchie, ne saurait se désintéresser de la position, de l’indépendance de la papauté et doit tenir à une entente utile avec le chef de l’Église catholique. Elle y est intéressée dans ses affaires intérieures pour la paix des consciences, et encore plus, peut-être, pour son influence séculaire à l’extérieur, dans les pays lointains où elle a une clientèle catholique rattachée à son protectorat. Il n’y a que les sectaires qui méconnaissent l’avantage d’avoir pour allié le plus grand pouvoir moral qui soit au monde. Nos gouvernemens nouveaux, dès qu’ils touchent aux affaires, ne s’y trompent pas, et jusqu’ici, il n’y a pas eu un ministère républicain qui se soit prêté à la suppression de l’ambassade française auprès du Vatican. M. le président de la république, en toute occasion, montre sa déférence pour le chef de l’Église ; il la montrait récemment encore, et lorsqu’il a eu à remettre la barrette au dernier nonce, au cardinal Rotelli, et lorsqu’il a eu à recevoir le nouveau nonce, Mgr Ferrata. Le pape, de son côté, sans déguiser ses préférences pour la France, ne cesse de témoigner les intentions les plus conciliantes, et même d’encourager par ses conseils les adhésions à la république. En dehors de cette bonne intelligence, de ce concours utile, dont la paix religieuse peut être le prix, il n’y a pas, que nous sachions, une question romaine. Il faut les yeux de M. Crispi pour la démêler parmi nous. La question romaine, elle n’existe pas plus pour la France que pour les autres grands états. Est-ce que M. de Bismarck, le jour où il s’y est cru intéressé, ne s’est pas adressé au souverain pontife et ne l’a pas traité en puissance reconnue ? Est-ce que l’empereur d’Autriche, dont l’Italie est l’alliée, est allé jusqu’ici rendre à Rome la visite qu’il avait reçue du roi Humbert à Vienne ? Mais, sur tout ce qui vient de l’Autriche et de l’Allemagne, M. Crispi garde un silence prudent. Il n’y a que la France qui le préoccupe ; si la question romaine reste encore un embarras pour l’Italie, c’est uniquement.la faute des Français, qui conspirent avec le Vatican. Voilà qui est entendu.

Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que M. Crispi ne se dit pas moins le meilleur ami de la France. Oh ! oui, sans doute, pourvu que la France cesse de « se considérer comme la fille aînée de l’Église ; » pourvu qu’elle soit sage et tranquille, qu’elle ne prétende plus « être l’arbitre de l’Europe, » qu’elle sache s’incliner devant les obstacles