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l’occasion, il aurait manqué une voix si M. Crispi n’avait pas tenu à faire sa partie ; mais M. Crispi a parlé comme les autres, comme M. de Bismarck lui-même, l’illustre délaissé de la fortune, qui paraît avoir dans sa solitude des opinions assez moroses sur les affaires du jour. Il y a deux mois à peine, l’ancien ministre italien, pour faire encore parler de lui, pour échapper, s’il pouvait, à l’oubli, avait écrit une première consultation qu’il avait confiée à une revue anglaise, avec des airs de mystère, en se voilant du prétentieux pseudonyme « un homme d’État. » Aujourd’hui il publie dans la même revue son second mémorandum, qu’il se résigne cette fois à signer de son nom. M. Crispi a voulu, lui aussi, dire son mot sur les affaires de l’Europe, sur les alliances continentales, sur la politique de l’Italie ; seulement il l’a dit à la façon d’un homme qui, en perdant le pouvoir, a perdu le sens le plus simple des grandes réalités publiques, qui est dépassé par les événemens et a tout l’air d’un revenant nous racontant des histoires de l’autre monde.

Qu’est-ce en effet que cette consultation nouvelle sur « l’Italie, la France et la papauté, » si ce n’est un tissu de vieilleries, de puérilités, d’inventions saugrenues qui ne répondent plus à rien, ni à la vérité des choses, ni à l’état présent du monde ? M. Crispi a donc découvert, et dévoilé devant l’Europe le grand secret des malentendus qui séparent l’Italie de la France, qui ont jeté l’Italie dans la triple alliance. Il ne s’agit plus, il est vrai, des coups de main préparés par notre marine pour enlever le port de la Spezzia, ou des plans de campagne médités par nos états-majors pour l’invasion de la Péninsule ; il ne s’agit plus même de Tunis, ni des capucins, qui font depuis quelque temps plus de bruit que de raison dans les polémiques italiennes. La grande, la terrible question qui s’élève toujours entre les deux pays, c’est la papauté, dont la France médite visiblement la restauration temporelle. Il est avéré, c’est M. Crispi qui l’assure, que, si des négociations engagées en 1887 par un brave prélat pour réconcilier l’Italie avec le pape n’ont pas eu une heureuse issue, c’est la faute de la France, qui est intervenue par ses mauvais conseils auprès du saint-père. Il est tout aussi démontré qu’en 1889, en pleine exposition, en pleine agitation boulangiste, il y a eu une grande « conspiration » pour décider le pape à quitter Rome, à réclamer l’hospitalité française ! Bref, c’est un fait sûr et certain que depuis des années la France, placée sous le régime de la république, gouvernée par des ministres comme M. Goblet, M. Floquet ou même M. de Freycinet et M. Ribot, ne cesse de songer à une nouvelle expédition de Rome pour rétablir le pape dans son pouvoir temporel ! Et voilà pourquoi l’Italie est dans la triple alliance ! voilà pourquoi elle n’en sortira pas tant que la France n’aura point juré solennellement qu’elle ne songe ni à « renouveler l’expédition contre Rome, » ni à « soumettre aux puissances européennes la question du Vatican ! » C’est pourtant tout ce que trouve à dire sur la