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spontanéité ardente, impatiente avec laquelle toutes les classes du peuple r : 3se s’associent à une réception dont l’empereur lui-même a donné le signal : on pourrait peut-être dire, si l’on voulait à tout prix épiloguer, qu’il faut faire la part de l’étiquette officielle ; mais ce n’est plus évidemment cela. D’abord un tsar ne se prodigue pas si aisément, si libéralement, et pour que l’empereur Alexandre III, le plus réservé des souverains, ait cru devoir se rendre spontanément à bord de nos navires à peine arrivés, pour qu’il ait semblé prendre plaisir à combler nos chefs militaires des témoignages de ses sympathies ; pour qu’il ait porté des toasts et envoyé de chaleureux télégrammes à M. le président de la république qui a répondu du même accent, pour qu’il ait fait sa paix même avec la Marseillaise, il a fallu qu’il mît quelque calcul profond dans ce qu’il faisait ou qu’il cédât à un puissant mouvement d’opinion. Cette opinion, elle n’a cessé de se manifester, en effet, sous toutes les formes, par les banquets offerts à nos officiers, par les virils témoignages échangés entre les chefs des deux marines, par les fêtes publiques, par les discours, par la cordialité populaire. Partout, à la cour et à la ville, dans les cercles militaires, dans les réunions mondaines, et même dans la rue, nos marins ont trouvé l’accueil le plus empressé et ont été traités en amis à qui on veut laisser un bon souvenir. Ils y ont répondu en braves gens sensibles à de si chaudes démonstrations, fiers de voir leur drapeau honoré et leur pays relevé dans l’estime du monde. La France, si bien représentée par ses marins devant Cronstadt, a répondu aussi chez elle à sa façon et par quelques paroles vibrantes de M. le ministre des affaires étrangères, et par l’accueil que les marins russes ont récemment trouvé à leur tour dans le port de Cherbourg et mieux encore par l’émotion qui a couru dans le pays. En un mot, dans leur ensemble comme par leurs détails, comme par l’esprit qui les inspire, les fêtes russes offertes à notre escadre ont tous les caractères d’un de ces événemens exceptionnels qui parlent à l’imagination et même à la raison des hommes.

Que, dans ce qui vient de se passer, tout ne soit pas pure ostentation et vaine apparence, que ces manifestations, ces démonstrations, ces bruyans témoignages de sympathie mutuelle dépassent les proportions de ce qu’on veut bien appeler la « civilité » internationale, on n’en peut certes douter. Il est bien clair que deux grands états, deux grands peuples, placés à de telles distances, séparés par tant de traditions sociales, morales, politiques, ne se confondent pas dans une telle étreinte uniquement par politesse, pour le plaisir de se donner des fêtes et de porter des toasts dans des banquets. Ils ont eu d’autres raisons de se rapprocher, c’est bien certain. Est-ce à dire que le voyage de l’escadre française à Cronstadt n’ait été qu’un moyen de déguiser quelque savante campagne diplomatique, que M. l’amiral Gervais ait été envoyé pour conquérir quelque pacte mystérieux, qu’il y ait des