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l’ombre a plané même sur le début de la prière, c’est que parfois les larmes cachent aux yeux de l’homme l’éclat du trône de Dieu.

Nous touchons au centre de l’une et de l’autre partitions, au Credo, le cœur même de la messe, que dis-je, de la foi catholique. Il ne s’agit plus ici, comme dans le Kyrie, de prier Dieu, mais de l’affirmer, presque de le définir, sinon par son incompréhensible substance, au moins par ses attributs ; de proclamer sa passagère humanité et sa divinité éternelle, de confesser l’un après l’autre les mystères et les dogmes de la métaphysique chrétienne, de résumer enfin, depuis la création jusqu’à la vie qui ne doit point finir, l’histoire de notre destinée. Il est naturel que dans le Credo plus encore que dans le Gloria s’accuse la personnalité respective des deux maîtres que nous étudions. Pour l’artiste, sinon pour le chrétien, tous les articles du symbole n’ont pas la même importance ; il en est d’essentiels et de secondaires. A la communion des saints, par exemple, à la rémission des péchés, à l’unité du baptême, à la sainteté et à la catholicité de l’Église, Bach et Beethoven n’ont pas fait la plus belle part. Bach a cependant prédit et décrit en une page d’une beauté presque fantastique la résurrection des morts. Au milieu de la fugue la plus aride sur les abstractions de la théologie, la vision effrayante (et concrète, celle-là) se dresse devant ses yeux. Alors il s’arrête court ; de l’orgue, de l’orchestre, des chœurs, comme des tombeaux ouverts, s’élève une rumeur étrange, un bruit vague de foule, et nous, pareils au poète couché sur l’herbe du cimetière, il semble que nous entendions


Ces millions de morts, moisson du fils de l’homme,
Sourdre confusément dans leurs sépulcres, comme
Le grain dans le sillon.


L’Esprit-Saint même a médiocrement inspiré les deux maîtres. Beethoven lui consacre un développement aride ; Bach, une espèce de complainte terriblement fastidieuse. Nous voilà loin du cantique de la Pentecôte. Mais la Nativité ! mais la Passion !

Incarnatus est de spiritu sancto ex Maria virgine et homo factus est. Crucifixus etiam pro nobis sub Pontio Pilato ; passus et sepultus est. Voilà les quelques mots qui ont renouvelé la face du monde, le domaine de l’esprit avec le domaine de l’âme ; les mots auxquels vingt siècles déjà doivent des merveilles, non-seulement de vertu, mais de génie : depuis la Divine comédie jusqu’aux Pensées de Pascal, de la flèche de Strasbourg à la coupole de Saint-Pierre. Celui que désignent ces paroles augustes a dormi petit enfant sur le sein des vierges de Raphaël ; Rubens l’a détaché de la croix ; Titien l’a mis au tombeau ; Bach et Beethoven ont chanté sa naissance et sa mort.

Chez les deux maîtres, ces pages sublimes se valent, mais ne se