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musique, ne saurait trouver de plus beau sujet que la messe catholique. En nul autre il ne peut mettre plus de lui-même, nous découvrir plus profondément son âme et nous faire sur des matières plus graves de plus précieuses confidences. Si j’osais, excusé d’ailleurs par l’austérité de ces questions, parler un peu métaphysique, je le ferais ici après un maître, ou plutôt d’après lui. Je citerais, de M. Sully-Prudhomme, une page où le poète-philosophe définit la nature et la beauté de la musique sacrée : — « Bien que la musique sacrée, dit-il, paraisse avoir une expression objective, à cause de sa dénomination même, qui lui assigne la religion pour objet, nous croyons qu’il convient de la considérer comme subjective d’expression. Elle exprime, en effet, l’âme aspirant à une possession qui demeure indéterminée ; car Dieu, par son infinité même, échappe aux prises de la pensée et du cœur ; il les dépasse. L’homme adore en lui un maître voilé ; la foi suppose le mystère et le mystère exclut toute définition d’objet. La musique sacrée exprime donc l’élan de l’âme humaine vers l’Inconnu infini dont elle a besoin pour expliquer et justifier le monde. Or, c’est surtout en devenant religieuse que la musique d’expression subjective atteint au sublime. »

Vers cet Inconnu infini, un Bach et un Beethoven se sont-ils élancés du même essor ? Ont-ils cru, ont-ils aimé de la même croyance et du même amour ? Non certes et de ces deux âmes, qu’il avait faites différentes, Dieu ne pouvait attendre le même hommage et des remercîmens pareils. Toutefois, n’allons pas chercher entre les deux œuvres de trop subtiles distinctions, ni, sous prétexte que Bach était luthérien et Beethoven déiste, rien de plus, suspecter leur inspiration d’hérésie ou de libre pensée. Les deux grandes œuvres sont ce qu’elles devaient être et ce qu’il suffît qu’elles soient : religieuses dans la belle et large acception du mot, et pour les concevoir selon la plus stricte orthodoxie, Bach et Beethoven n’ont fait que s’en remettre à l’instinct de leur génie. C’est lui qui, triomphant de l’erreur chez l’un, chez l’autre du doute, a fait confesser par tous deux la foi catholique en pleine certitude et vérité.

Il ne faut donc pas prétendre que la messe de Bach soit plus chrétienne que celle de Beethoven ; elle l’est autrement, voilà tout, et nous essaierons de le faire voir.

En peu de mots on peut dire que les deux œuvres, égales par l’intensité du sentiment, ne le sont ni par la liberté, ni par la variété, ni par l’expression. Sous ce triple rapport, Beethoven dépasse Bach lui-même comme il dépasse tous les autres, ceux qui l’ont précédé et ceux qui l’ont suivi. Beethoven, le premier, a été l’interprète parfait de l’âme moderne, le Messie venu après les prophètes et les précurseurs pour remplir notre attente et combler nos désirs.