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retraite des Français[1]. Le 26, comme j’examinais la bagarre avec ma lunette du haut du clocher de la cathédrale, je vis arriver l’armée française. Elle avait perdu, contre les Anglais, le 22 juillet, la bataille des Arapiles, et rapportait, en litière, le maréchal Marmont, grièvement blessé.

Le 28, on décida l’évacuation de Valladolid et la continuation de la retraite. Tous les malheureux Espagnols qui avaient accepté de servir le roi Joseph se trouvaient obligés de suivre, avec leur famille, l’armée française et l’encombraient d’une façon bien gênante.

Le 6 août, nous marchions en très bon ordre, comptant environ 1,500 combattans, mais nous étions embarrassés par 1,200 prisonniers anglais ou espagnols, par 600 grands blessés traînés sur de petites charrettes à bœufs et par une quantité énorme de bagages civils et militaires. Nous avions 2 pièces de canon, mais point de cavalerie. Les officiers montés se groupaient pour en donner l’illusion. En arrivant en vue du fort de Pancorbo, nous trouvâmes la route barrée par une ligne d’infanterie espagnole ; elle avait du canon et était soutenue par de la cavalerie. Il fallut livrer bataille. Notre escorte se conduisit bien. Un régiment hollandais, qui en faisait partie, voulut ramener tous ses blessés, et fit des pertes sérieuses. Nous avions eu 8 officiers et 150 sous-officiers et soldats hors de combat, mais le convoi n’avait pas été entamé, et nous passâmes sans désordre.

Le 7 août, nous étions à Vittoria, où nous devions attendre les troupes destinées à nous escorter jusqu’en France. Nous repartîmes le 11, accompagnés de deux régimens. Le 15, nous arrivions, sans nouveaux combats, à Saint-Jean de-Luz, et peu après à Bayonne.

Nous avions retrouvé la France, que nous avions quittée près de quatre ans auparavant. Nous la revoyions encore prospère, riante, hospitalière ; l’on nous y accueillait avec affection. La comparaison que je ne pouvais m’empêcher de faire entre cet heureux pays et celui que je traversais (depuis six mois éveillait en moi une sorte d’orgueil d’être Français[2].


  1. À ce moment, Napoléon venait de quitter Wilna pour marcher, avec son armée, sur Moscou. (P. V. R.)
  2. Le 11 février 1813, M. Vigo Roussillon recevait à Erfurt sa nomination de major (lieutenant-colonel), datée du 16 janvier précédent. (P. V. R.)