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de Cadix eut beaucoup de peine à me défendre et à m’empêcher d’être massacré. Je marchais avec peine, ma blessure s’était rouverte, mon pied était en sang. Enfin, tant bien que mal, nous arrivâmes chez le gouverneur, suivis de la populace.

Mais le gouverneur était à table. Il soupait. On me fit longtemps attendre, dans la cour, et il pleuvait à verse. J’étais tout mouillé et bien fatigué. On me fit entrer dans le corps de garde ; je m’assis sur le lit de camp. On apporta la soupe aux soldats, et ceux-ci, ayant pitié de ma situation et sans savoir qui j’étais, m’offrirent à manger. Je les remerciai ; ce trait de bonté militaire me fit plaisir. Enfin, un aide-de-camp du gouverneur descendit. Il me prit mes papiers et mon argent, que l’officier de garde m’avait laissés, en me disant que cela me serait inutile dans le lieu où j’allais.

Je fus conduit par la garde dans la prison de l’inquisition. En y arrivant, je fus fouillé de nouveau. Le geôlier de cette infernale maison, ayant le titre d’alcade, me demanda mon nom. Je me nommai. « Señor, me dit-il, écrivez votre nom vous-même, et, puisque vous êtes lieutenant-colonel français, je vais vous faire donner un appartement très décent. »

Je distinguai dans le sourire de ce lâche gredin le plaisir qu’il éprouvait à me railler.

On m’emmena. Après m’avoir fait traverser de longs et étroits corridors, passer par des portes très basses et toujours dans la plus profonde obscurité, on me fit entrer dans un cachot. Je m’y trouvai en compagnie d’un jeune Espagnol qui avait servi dans les troupes du roi Joseph. Fait prisonnier, il avait été incarcéré et mis au secret en ce lieu. Heureusement, l’habit que je portais diminuait l’humiliation que j’éprouvais.

Je n’avais pris aucune nourriture depuis le matin, je souffrais de ma blessure rouverte, j’étais tout mouillé et très fatigué ; je m’endormis profondément jusqu’au jour. La veille, couché dans un bon lit, mais préoccupé de ma tentative d’évasion, je n’avais pu fermer l’œil, et ici, couché sur le carreau, sans effets pour me couvrir, je passai une bonne nuit. J’avais encore de la jeunesse. L’Espagnol qui partageait ma prison me fit, quand il sut qui j’étais, le récit de ses malheurs. Il n’avait osé me rien dire à mon arrivée, croyant que j’étais Espagnol. Dans la journée, il me fut permis d’écrire à mon domestique, afin qu’il m’apportât à manger, ce qu’il fit ; mais je ne pus le voir.

Le 1er novembre, un officier espagnol suivi d’un sergent-major, un registre sous le bras, vint me trouver. Il me dit que son excellence M. le gouverneur était bien fâché que j’eusse été si durement traité, qu’il était disposé à me rendre service, qu’il allait