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fut accordé. On me logea à l’hôpital, situé près de la lanterne du fort Saint-Sébastien.

Voici pourquoi j’avais demandé d’être transféré de l’île de Léon à Cadix. Des négocians américains-espagnols m’avaient offert de me faire évader. Ils s’étaient chargés d’en préparer les moyens, mais d’après eux il fallait, pour l’exécution de leur plan, être à Cadix.

Je jouissais de beaucoup de liberté dans cette ville. Je dînais souvent et passais mes soirées chez M. Prévôt, colonel du 67e d’infanterie anglaise. Il avait à Cadix sa femme, sa belle-sœur, Mlle Hamilton ; ces dames en recevaient d’autres et tenaient un salon agréable.

Les politesses, les bons traitemens que l’on me prodiguait, me faisaient éprouver certains scrupules et quelque répugnance à m’évader.

Il y avait sept mois que j’étais prisonnier, je n’avais pas perdu l’espoir d’être échangé, et j’avais adressé à ce sujet une lettre pressante au général Sémélé. Je lui laissais entrevoir que si je ne devais pas être bientôt échangé, je trouverais quelques moyens de m’échapper. Je m’étais servi de phrases que lui seul pouvait deviner, et que les Anglais porteurs de mes lettres ouvertes ne remarquèrent même pas. Pour toute réponse, le général m’envoya de l’argent, que mon régiment me devait et qu’il lui avait remis pour moi.

Le général, s’il eût considéré mon échange comme prochain, eût probablement conservé cet argent ; en me l’envoyant, il répondait assez clairement à ma lettre.

Alors l’ennui, le désir d’être rendu à la liberté et le besoin de rétablir ma santé fort ébranlée, l’emportèrent sur la gratitude que m’avaient inspirée les bons traitemens des Anglais. Je me décidai à partir. Je tins mon projet secret et n’en fis part à mon domestique, sur la fidélité duquel je pouvais compter, que la veille du jour fixé pour mon départ.

Le 30 octobre, dans l’après-midi, je me rendis chez un négociant espagnol-américain, ’ M. Alvear (qui a joué depuis un rôle politique à Buenos-Ayres). Là, je pris un costume complet de matelot ; je ne gardai que ma bourse, dans laquelle j’avais vingt quadruples en or, ma croix de la Légion d’honneur et la bague en diamans qui m’avait été donnée par le roi Joseph un jour où je commandais la garde chez lui. Je cachai ces deux derniers objets dans le col de ma chemise. J’avais remis la veille à un négociant que m’avait indiqué M. Alvear 6,000 francs en argent, et à M. Alvear lui-même 23 guinées en billets de la banque d’Angleterre. Cette