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Je ne pouvais répondre ni oui ni non. Les douches furent donc données et voici comment.

Pendant la nuit, on faisait rafraîchir de l’eau dans un grand baquet placé sur la terrasse de la maison. En cette saison elle devenait très froide.

On me mettait debout, dans la cour, au pied du mur ; j’étais soutenu par mon domestique ; puis, du haut de la terrasse, on me versait des seaux d’eau sur la tête et sur tout le corps. J’éprouvais un mal horrible ; j’étais brisé après cette opération. Cependant, dès le second jour, je pus exprimer par un « ah ! » la souffrance que je ressentais. Le troisième jour, je commençais à pouvoir respirer plus librement et à remuer un peu mes membres. Le cinquième jour, on put m’asseoir sur une chaise et les douches furent continuées ainsi. J’allais de mieux en mieux, mais mes mâchoires restaient rigides et mes dents serrées. On les écartait avec un levier, puis on introduisait dans ma bouche un entonnoir avec lequel on me faisait avaler du gruau, du riz, du bouillon, et surtout de l’opium. J’en prenais ainsi, tous les soirs, des doses croissantes et considérables. Le quinzième jour, je pus enfin desserrer mes mâchoires, parler un peu, et avaler, chaque soir, une pilule d’opium grosse comme une noisette. Ce jour-là seulement je pus fermer mes paupières[1]. Mes yeux étaient engorgés ; leurs globes étaient rouges comme du sang. Cet état pénible commença de diminuer aussitôt que je pus parvenir à clore les paupières. Je ne puis dire que je dormais, mais, sous l’influence de l’opium, je reposais et jouissais d’un calme, d’un bien-être que je ne saurais décrire.

Quand je fus tout à fait hors de danger, M. Hume me dit :

— Vous avez eu le tétanos au troisième degré. Plusieurs de mes blessés en ont été atteints ; vous êtes le seul que j’aie pu sauver.

Je ne sais comment les chirurgiens expliqueront ce que j’éprouve encore, trente ans après. Quand je prononce ou entends le mot : tétanos, ma mâchoire se contracte, mes dents se serrent encore et je parle avec difficulté, comme au moment où j’éprouvais les premiers symptômes de cette maladie redoutable.

Le 1er mai, le chirurgien qui me pansait retira de mai blessure quatre fragmens d’os, deux morceaux de balle, des morceaux de botte. Il me dit qu’il pensait que c’étaient les derniers et que je serais bientôt guéri. Cependant, il fallut faire de nouvelles

  1. Ces détails paraîtront peut-être un peu longs, mais il est si rare de recueillir des impressions de quelqu’un qui a guéri du tétanos au 3e degré, qu’on nous pardonnera, j’espère, cette digression.