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Fahelmona ! les parfums de la lande ? Ce sont les effluves de ton amour qui m’enveloppent ! — Regarde ! disait-elle, ô Elfinn ! regarde l’astre d’argent qui m’attire à lui ; c’est ton regard qui boit mon âme ! » Chaque parole était une caresse, chaque regard une pensée, chaque baiser une longue musique. Ils montaient comme s’ils avaient des ailes ; ils montaient comme portés par le vent. Mais ils ne pouvaient atteindre Taliésinn au front radieux qui marchait en avant et dont la taille paraissait grandir à mesure qu’il montait. Quand ils furent parvenus à mi-côte, ils lui crièrent : « Arrête, Taliésinn, nous ne pouvons te suivre, arrête, barde merveilleux, qui nous a fait renaître, et reçois l’encens d’un bonheur qui est ton œuvre ! » Taliésinn se retourna. Sa haute figure sortait à distance d’une mer de fougères éclairées par la lune. Les deux amans restèrent stupéfaits, car à la place du jeune barde gallois ils virent un homme majestueux, en longue robe de lin, la tête protégée d’une coiffe blanche qui retombait sur ses épaules, le front ceint d’un serpent d’or comme un prêtre d’Egypte et tenant à la main le sceptre d’Hermès, le caducée. Il dit simplement : « Suivez-moi ! » et continua sa route. Un peu plus loin, les deux époux hors d’haleine crièrent de nouveau : « Taliésinn ! où veux-tu nous conduire ? » Le guide mystérieux, debout sur un rocher, se retourna. Il avait pris l’aspect d’un prophète hébreu ; deux légers rayons sortaient de son Iront. Il leva la main et dit : « Suivez-moi ! jusqu’au sommet. » Quand ils furent sur la cime, le barde prophète leur apparut sous les traits d’un druide centenaire. Son front chauve était couronné de lierre et de verveine ; ses rares touffes de cheveux flottaient au vent ; il était plus vieux que les vieux chênes.

Saisis de respect et de crainte, Elfinn et Fahelmona tombèrent à genoux devant lui et dirent : — « Oh ! maître, notre guide, qui donc es-tu, esprit mystérieux, et que veux-tu de nous ? » Taliésinn leur répondit : — « Vous ne pouviez savoir mes noms anciens, ni mon origine. Mais vous m’avez aimé, vous m’avez suivi, ce qui est la vraie connaissance. Maintenant avant de vous quitter, je vous dirai qui je suis. Je suis un messager de la sagesse divine qui se cache sous de nombreux voiles dans le tumulte des nations. D’âge en âge, nous renaissons et nous disons l’antique vérité avec un verbe nouveau. Rarement on nous devine, plus rarement on nous honore, mais nous faisons notre œuvre. Toutes les sciences du monde sont rassemblées dans la sagesse dont nous portons les rayons. Je sais par la méditation que je suis né plus d’une fois. J’ai été du temps d’Enoch et d’Élie, j’ai été du temps du Christ, et j’ai reçu mes ailes du génie de la croix splendide. La dernière fois que j’ai paru sur la terre, je fus le dernier des druides, le barde-roi, le grand