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vie ? — Je serai ta voix intérieure ; dans ton sommeil tu me verras… je t’aimerai… — Tu m’aimeras ? Divin esprit, un gage de ta présence ! — Vois-tu cette harpe qui fait pleurer les hommes et les anges ? C’est un gage de l’inspiration divine. Par elle tu seras l’enchanteur des hommes, le guide d’un roi et le voyant d’un peuple. Quand tu la toucheras, tu sentiras mon souffle ; par elle je te parlerai. Personne ne saura mon nom ; aucun homme de la terre ne me connaîtra ; mais toi tu invoqueras Radiance ! — Radiance ? .. » soupira Merlin, à cette voix cristalline, comme à l’écho magique d’une divine ressouvenance. Il voulut la regarder, la saisir. Mais il ne vit que deux ailes amoureusement déployées sur sa tête. Un baiser sur son front, une lueur dans l’espace… et il se trouva seul.

Quand les bardes royaux sortirent de la grotte d’Ossian, Merlin s’éveillait aux premiers rayons du soleil. Ils virent la harpe d’argent dans ses bras[1] et à son cou une étoile métallique à cinq pointes suspendue à une chaîne de cuivre. À ces deux signes, Taliésinn reconnut dans son disciple le double don de l’inspiration et de la magie. Dans un chant solennel, Merlin se mit à prédire les futures victoires des Bretons et la grandeur d’Arthur. Il reçut l’écharpe bleue, la couronne de bouleau, et fut consacré comme barde-devin dans la grotte d’Ossian.

Après avoir reçu la dignité suprême de ses maîtres, Merlin se rendit à la cour d’Arthur et devint son barde attitré, rang qui correspondait à celui de conseiller et de ministre. Arthur soutenait alors une lutte acharnée contre les Saxons, dont l’invasion ressemblait, au dire des chroniqueurs, à une mer montante de flammes courant de la mer d’Occident à la mer d’Orient. Merlin excita le roi par ses prophéties. Il fut l’âme de la guerre dont Arthur fut l’épée. Cette épée merveilleuse, disent les bardes dans leur symbolisme parlant, s’appelait Flamboyante, forgée au feu terrestre par des hommes sans peur. Sa poignée était d’onyx ; sa lame de pur acier brillait comme le diamant. Elle paralysait le bras du lâche et du méchant ; mais lorsqu’un homme fort et bon la saisissait avec foi, elle lui communiquait un courage invincible. Alors elle reluisait vivante, s’irisait dans le combat des sept

  1. Pour les Celtes, ce don poétique et musical est une inspiration divine. Cette foi revêt chez eux un caractère plus positif et plus absolu que chez toutes les autres races. De là la croyance populaire qui donne une origine miraculeuse et attache une force magique à certains instrumens de musique. La cornemuse du clan Chattan, que Walter Scott mentionne comme étant tombée des nuages pendant une bataille de 1396, fut empruntée par un clan vaincu qui espérait en recevoir l’inspiration et le courage et qui ne l’a rendue que quatre siècles après, en 1822. La harpe des bardes était moitié grande comme la nôtre et pouvait se tenir aisément.