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amoureuse du ciel fait pousser cet arc de triomphe sur les pas du rédempteur, qui vient apporter au monde la joie spirituelle et rendre à l’homme sa splendeur édénique.

Il y a dans cet ensemble une simplicité et une grandeur encore empreinte de la primitive et forte conception que le génie celtique se fit du christianisme. Sa vigueur et son harmonie n’ont rien de l’ascétisme chagrin, tourmenté, grimaçant et maladif qu’on lui verra plus tard sous le poids de l’obscurantisme et de la tyrannie cléricale et qui trouve son expression dans une foule de calvaires. J’entrai dans la cathédrale. C’était le dimanche après vêpres. Déjà le brun crépuscule envahissait les sveltes arceaux ; mais la nef abandonnée rayonnait sous la lumière merveilleuse de ses vitraux peints, où saignent des rouges cramoisis, où pleurent des violets foncés, où des blancheurs mystiques luisent dans l’azur suave et tendre. Je m’assis au fond du chœur, en lace de la grande ogive qui représente la vie de Jésus en quatre tableaux : la nativité, la présentation à Siméon, la cène et la résurrection. Sous la première on lit : natus est hodie salvator ; sous la dernière : surrexit sicut dixit. Des couronnes d’anges se balancent dans les pleins cintres des verrières sur les têtes auréolées du Christ et de la Vierge. Au-dessus, l’ogive se constelle de fleurs brillantes comme de grands papillons, aux ailes diaprées, aux bigarrures étranges. Tout en haut, flamboie un triangle de feu, avec le nom IÈVÈ en lettres hébraïques ; figure géométrique et nom sacré, qui, dans la doctrine des mystères, résume l’essence de la divinité et que soutient la colombe blanche, aux ailes étendues, symbole de la substance divine et de l’éternel amour.

Devant le langage symbolique de ce vitrail, beau comme une vision, je me sentis enlevé dans une atmosphère de rêve et de légende. Je m’étais demandé souvent comment la Bretagne païenne et barbare était devenue la Bretagne chrétienne et mystique du moyen âge. Car l’histoire ne nous raconte que les faits extérieurs et non pas ces révolutions intimes qui changent la face d’un monde en changeant l’âme d’une race. Et voici que par toutes ces verrières il me sembla voir arriver les saints nombreux qui prêchèrent l’Évangile en Armorique du IVe au VIe siècle. Ils vinrent par mer, ces hommes qui portaient la croix rédemptrice. Seuls ou à plusieurs, ils s’établissaient au fond des plus sauvages forêts. Les animaux féroces des bois, loups, buffles, sangliers, les respectaient ; les populations tombaient sous le charme de leur douceur, de leur sainteté, de leurs prières. Leurs litanies entraînaient les enfans ; leur parole apaisait la colère des rois. Ces moines ouvriers défrichaient les bois, cultivaient la terre, cardaient la laine, enseignaient tous les métiers en même temps qu’ils convertissaient les