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de lancer quelque épigramme sur M. Campan, qu’il ne cessa d’appeler : mon collègue Campan. Marie-Antoinette se contentait de sourire et d’observer : « Il est affligeant de trouver un si petit homme dans le fils du maréchal de Richelieu. » Les hommes célèbres se voient souvent punis dans leurs descendans, qui n’empruntent que leurs défauts et en font tant qu’ils viennent à bout de leur nom.

Six autres pièces, On ne s’avise jamais de tout, les Fausses infidélités, l’Anglais à Bordeaux, le Sorcier, Rose et Colas, le Devin de village, remplissent le reste de cette saison théâtrale. Le roi, tout à fait converti, s’occupait infiniment du jeu de la reine ; celle-ci croyait avoir une vocation décidée pour les emplois de bergère ou de paysanne. Elle eût voulu, pour mieux s’autoriser à prendre ce divertissement, que Madame y prît part, et cette princesse aurait volontiers saisi cette occasion de faire cesser une nouvelle piquanterie survenue à propos de Mme de Balbi. Mais, aux premières ouvertures, Marie-Antoinette se heurta à l’opposition formelle de Monsieur, et Madame fit chorus. « Cependant, dès que moi, reine de France, je joue la comédie, vous ne devriez pas avoir de scrupule. — Si je ne suis pas reine, je suis du bois dont on les fait. » Piquée du parallèle, Marie-Antoinette fit sentir à sa belle-sœur qu’elle regardait la maison de Savoie comme fort au-dessous de la maison d’Autriche, dont l’illustration, d’après elle, marchait de pair avec celle de la maison de Bourbon. À ce moment, le comte d’Artois intervint et dit : « Je craignais, madame, de me mêler à la conversation, vous croyant fâchée ; mais, pour le coup, je vois bien que vous plaisantez. »

La grossesse de la reine, le temps de ses relevailles, après la naissance du dauphin, avaient interrompu les spectacles privés qui recommencèrent au printemps de 1782. Le Sage étourdi, de Boissy ; la Matinée et la Veillée villageoise ou le Sabot perdu, de Piis et Barré, forment la représentation du 13 avril. Dans la Matinée villageoise, l’intrigue roule autour d’un sabot perdu pendant la nuit et retrouvé le matin par le magister. Grand émoi le soir, à la veillée, quand il paraît avec le sabot accusateur : on l’essaie à toutes les jeunes filles, puis aux mamans, et l’on découvre qu’il appartient à la vieille Thomas. Alors Babet confesse que, sa mère ayant prudemment caché ses sabots, elle lui a emprunté les siens pour aller à un rendez-vous, et qu’elle en a perdu un en revenant. Malgré qu’elle ait vu le loup, le magister persiste à vouloir l’épouser ; mais le père Thomas, en vrai philosophe, marie sa fille à Colin, car, conclut-il avec une saine logique :

Colin l’i a fait perdre ; il est clair
Que l’i seul peut le l’i rendre.