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domestiques, » — puis en la voyant broder des manchettes pour le valet Lafleur, un maître fourbe « qui reporte chez madame ce qui se passe chez monsieur. » Il est vrai que le comte d’Artois jouait ce personnage, il est vrai aussi que les spectateurs n’étaient pas nombreux, surtout au commencement ; on avait résolu de ne recevoir aucun jeune homme dans la troupe, de n’admettre comme spectateurs que le roi, Monsieur, les princesses royales ; et vainement les dames du palais, les grandes charges elles-mêmes, réclamèrent, au nom de l’étiquette et des usages établis, contre l’exclusion ; leurs instances restèrent sans effet. Toutefois, pour animer un peu les acteurs, on fit occuper les premières loges par les lectrices, les femmes de la reine, leurs sœurs et leurs filles, des espèces, aux airs de néant, comme on disait alors, d’où partirent sans doute les commérages des gazetiers et des pamphlétaires ; en tout, une quarantaine de personnes. Plus tard, la troupe des seigneurs se lassant de jouer devant des banquettes vides, on étendit les invitations : d’où nouvelles jalousies, nouvelles récriminations ; les dénigrans comparaient la troupe de Marie-Antoinette à celles du duc d’Orléans, de la Guimard, et le parallèle n’avait rien de flatteur ; car, bien que Caillot et Richer eussent contribué à la former, elle ne dépassa jamais, Vaudreuil excepté, le niveau d’une honnête médiocrité[1].

L’emploi de répétiteur, souffleur et ordonnateur ayant été confié à M. Campan, le duc de Fronsac, premier gentilhomme de la chambre, éleva les plaintes les plus vives. La reine se borna toujours à cette réponse : « Vous ne pouvez être premier gentilhomme quand nous sommes les acteurs ; d’ailleurs, je vous ai déjà fait connaître mes volontés sur Trianon : je n’y tiens point de cour, j’y vis en particulière. » Et, à la toilette de la reine, le duc ne manquait jamais

  1. Les faiseurs de chansons n’épargnaient pas plus la reine qu’ils n’avaient ménagé Mme de Pompadour ; on peut en juger d’après ces vers :

    Reine de France en apparence,
    Vous l’êtes plus réellement
    Des ministres de la toilette,
    Des comédiens, des histrions,
    Et, bravant en tout l’étiquette,
    Des filles vous avez le ton…

    S’il est vrai que la Vaupalière
    Doive paraître à votre cour,
    Ma foi, dans cette pétaudière,
    Faites figurer tour à tour
    Ce que les comptoirs, les coulisses
    Nous offrent de plus séduisant.
    Avec des banquiers, des actrices,
    Vous tiendrez votre appartement.