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« Monsieur de Richelieu, dit-il à l’improviste, combien de fois avez-vous été à la Bastille ? — Trois fois, sire. » Et Louis XV se mit à détailler les motifs des trois lettres de cachet. Le maréchal comprit et recula : une sorte de concordat intervint, paix armée qui, pour la forme, réservait les prérogatives des gentilshommes de la chambre, qui, en fait, donnait gain de cause à la marquise. Celle-ci dédommagea son directeur en obtenant pour lui le cordon bleu. Pendant la bataille, elle avait invité le lieutenant de police à laisser vendre partout, même dans les théâtres, des bijoux appelés : Plaques de cheminées, avec une chanson où l’on persiflait l’amant de Mme de La Popelinière entrant chez celle-ci au moyen d’une plaque mobile pratiquée dans une cheminée[1]. Et, pendant un voyage à la Muette, sachant la favorite indisposée, et logeant au-dessus d’elle, le duc se vengeait en trépignant toute la nuit dans sa chambre ; ce qui ne l’empêche pas de lui imposer sa présence, de se faire nommer dans les voyages de la Celle, de Crécy, de Bellevue. Louis XV la consolait d’un mot piquant : « Vous ne connaissez pas M. de Richelieu ; si vous le chassez par la porte, il rentrera par la cheminée. » D’ailleurs elle triomphait sur les points essentiels, et il faut entendre d’Argenson prophétiser malheur à l’état gouverné par une coquette, tout en constatant avec amertume qu’il ne sert de rien de regimber contre l’éperon, et que les amis des solliciteurs conseillent de plus en plus d’avancer par elle et de lui rendre hommage.

Parmi les fêtes les plus brillantes du théâtre des Petits-Cabinets, citons le Méchant, de Gresset, joué après deux mois entiers d’études. Le duc de Nivernois brilla si fort dans le rôle de Valère, qu’on le déclara supérieur à Roseli qui l’avait créé, et qu’à une seconde représentation la favorite obtint de faire venir cet acteur, qui, dit-on, aurait désormais imité l’amateur, et assuré mieux encore son succès auprès du public.

Le spectacle était à la fois sur la scène et dans la salle, car on trouvait dans la pièce des études faites d’après nature : « Cléon le méchant est composé du caractère de trois personnages, que j’y ai bien reconnus : M. de Maurepas pour les tirades et les jugemens précipités, tant des hommes que des ouvrages d’esprit ; le duc d’Ayen pour la médisance et le dédain de tous ; et mon frère pour le fond de l’âme, les plaisirs et les allures. Géronte et Valère couvrent des noms trop respectables pour les articuler ici ; ce sont des âmes bonnes et simples, que séduit la mauvaise compagnie qui les entoure. Ariste est partout, ou doit être dans les honnêtes gens qui raisonnent bien ; Florise dans quantité de femmes trompées ;

  1. Mémoires de Marmontel.