Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/842

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de crier au génie, si par hasard une altesse gribouille elle-même quelques essais. On sait l’admiration excitée par les étrennes de Mme de Thianges au duc du Maine qui s’appliquait à traduire l’Anti-Lucrèce du cardinal de Polignac : une chambre toute dorée, mesurant un mètre de chaque côté ; au-dessus de la porte, en grosses lettres : Chambre du sublime. Au dedans, un lit, un balustre, un grand fauteuil dans lequel est assis le duc du Maine en cire et fort ressemblant ; auprès de lui, M. de La Rochefoucauld auquel il montre des vers, autour du fauteuil Mme de La Fayette, Bossuet, M. de Marcillac ; au dehors du balustre, Racine, La Fontaine, et Boileau, qui, armé d’une fourche, empêche d’approcher sept ou huit grimauds de poètes. Aux gens qui sont l’objet de telles flagorneries, il faut savoir gré, non-seulement de leurs qualités, mais de tous les vices qu’ils n’ont pas. Mme de Staal-Delaunay, très gâtée par l’abbesse de son couvent, avait, quoique infiniment petite, tous les défauts des grands, elle l’avoue elle-même ; cela lui servit plus tard à les excuser en eux, bien que sa pénétration ne pût s’empêcher de les noter, et sa délicatesse d’en souffrir.

Le jeu, les loteries poétiques, paraissant à la longue un peu monotones, l’abbé de Vaubrun imagina un nouveau divertissement. La déesse de la Nuit apparut à l’improviste, enveloppée de ses crêpes, et remercia la princesse de la préférence qu’elle lui accordait sur le jour ; elle avait un suivant qui chanta un air de circonstance arrangé par Malézieu et Mouret. Cette bagatelle amusa infiniment Mme du Maine, qui décida d’y donner suite : tous les quinze jours, deux personnes organisaient une fête de ce genre ; elles prenaient le titre de Roi et de Reine, commandaient, payaient la dépense, et déposaient leur souveraineté le lendemain même de la grande nuit. Il y en eut seize en tout, et elles furent interrompues par la maladie et la mort de Louis XIV ; on avait commencé assez simplement, on finit par déployer un faste ruineux dans la mise en scène, les costumes et les décorations. D’ordinaire, le roi et la reine se contentent de combiner trois intermèdes héroïques ou pastoraux, séparés par des reprises de jeu. Ainsi, pendant la quatrième nuit, le premier intermède est rempli par un jeu de quilles animées qui se plaignent qu’on ne les admette point à ces divertissemens ; dans le deuxième, on voit une ambassade de Groënlandais qui, avec des complimens dignes de Gongora et de ses disciples, offrent à son altesse sérénissime la souveraineté de leur pays ; la fête se termine par un dialogue d’Hespérus et de l’Aurore. Chargé d’organiser la treizième nuit, l’abbé de Vaubrun s’adresse à Destouches et Mouret qui écrivent un opéra-ballet, les Amours de Ragonde, véritable farce de carnaval, agrémentée d’une musique gaie et spirituelle. Ragonde, vieille amoureuse, un peu sorcière et secondée