Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/839

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

solennellement qu’elle a été piquée de la Tarentole, qu’elle entrera bientôt en fureur, que déjà Bruscambille et Finemouche présentent tous les symptômes du même mal, et qu’il gagnera le père et le fiancé s’ils s’exposent à l’haleine d’Isabelle. Pas d’autre remède que la danse et la musique. — Au troisième acte, le valet et la servante feignent d’être attaqués de la « tarentole » et jouent mille tours aux vieillards : ainsi, Bruscambille prend la tête de Fatolet et lui met le nez au derrière de Pincemaille ; il les force à danser à perdre haleine, les menace de son grand couteau. Survient le docteur avec des musiciens, des danseurs. Balou exécute un joli pas de deux, on chante un aimable morceau sur des paroles italiennes composées par le duc de Nevers. Bruscambille et sa commère vont mieux, la folie d’Isabelle ne diminue point. Alors Crotesquas déclare qu’il n’y a plus d’espoir ; Fatolet renonce au mariage et, après bien des détours, le faux Esculape fait allusion à un remède suprême, mais sa conscience ne lui permet pas de le conseiller. Il faudrait marier Isabelle dans les vingt-quatre heures, et l’époux court à une mort certaine. Paincourt se présente, se dévoue, et, cette fois, Pincemaille lui accorde sa fille avec transport. — Après le souper, il y eut un feu d’artifice et l’on dansa bien avant dans la nuit.

C’est encore pour Mme du Maine que Malézieu composa sa scène de Polichinelle et du Voisin[1], représentée en 1705 par les marionnettes devant la cour de Sceaux. Les comédiens de bois faisaient fureur à cette époque, et ce plaisir des petits était devenu un plaisir des grands : ils jouaient à Versailles, à Marly, devant le roi, dans la chambre de la duchesse de Bourgogne. On sait que nos aïeux ne reculaient pas devant le mot cru ; ces gens si raffinés se complaisaient parfois en d’étranges distractions, et ce serait matière à beaux développemens qu’une histoire de la pudeur où l’on raconterait les métamorphoses accomplies dans le code des bienséances. Qui donc expliquera ces variations, non-seulement de pays à pays, mais de salon à salon, et dans la même société, dans la même personne ? ces élans de gaîté succédant à des sursauts d’indignation en présence du même mot ? Qui rendra compte des ruades de l’être humain, de ces boutades grossières qui jaillissent parfois du gentilhomme le plus distingué, revanche terrible de la bête, éternel point d’interrogation des penseurs ? Est-il vrai qu’ici non plus il n’y ait point de règles fixes, que les individus, comme les peuples, n’aient de brillant que les surfaces ; que l’extrême politesse soit aussi proche de la grossièreté que la rouille l’est du fer ? De voir, par exemple, un Malézieu, membre de l’Académie

  1. Pièces échappées du feu, 1717. Plaisance, in-12. — Tome IV du Recueil des pièces rares et facétieuses : chez Barraud, 1873.