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mourir au rôti ; » — le cardinal de Polignac, l’onction et la séduction personnifiées, qui, d’après Saint-Simon et la duchesse d’Orléans, aurait compromis la duchesse de Bourgogne, la reine de Pologne, veuve de Sobieski, et la duchesse du Maine, auteur de l’Anti-Lucrèce et d’un mot resté célèbre dans les fastes de la courtisanerie ; — l’abbé Genest, qui mit en mauvais vers la Physique de Descartes et raconta en assez méchante prose les divertissemens de cette cour de Lilliput, commis, professeur de langue anglaise, écuyer du duc de Nevers avant d’être d’église et de l’Académie française ; — l’abbé de Vaublanc, surnommé le Sublime du frivole ; — Mme Tibergeau, qui, réveillée par la princesse, pendant la nuit, pour savoir ce qui pouvait le mieux, prose ou vers, traduire l’amour, répondait prestement, malgré ses quatre-vingt-cinq ans :

Non, ce n’est point en vers qu’un tendre amour s’exprime ;
Il ne faut point rêver pour trouver ce qu’il dit,
Et tout arrangement de mesure et de rime
Ôte toujours au cœur ce qu’il donne à l’esprit.


Qui encore ? Le poète Destouches ; mais il se lassa de cette servitude dorée ; mécontent de l’indifférence de la baronne de Sceaux à l’égard d’une de ses œuvres, il prit un beau jour la clé des champs sans crier gare, bravant toutes les indignations, laissant dans sa chambre, en guise de congé, un couplet des plus cavaliers. Et Destouches n’est pas le seul littérateur du XVIIIe siècle qui ait le sentiment de sa dignité : Piron, revendiquant son titre de poète, passait fièrement devant un grand seigneur ; Lesage, grondé sur son retard par la duchesse de Bouillon chez laquelle il devait lire une tragédie, remettait son manuscrit dans sa poche et se retirait en ripostant : — « Je vais toujours vous épargner deux heures de lecture. » — Sans parler des boutades de Jean-Jacques, de Chamfort, plus d’un homme de lettres commence à comprendre la noblesse de sa fonction, la nécessité de l’indépendance, et, parmi ceux-là mêmes qui semblent le plus étroitement asservis, combien de révoltes intimes, que d’amertumes discrètement voilées ou racontées dans les Mémoires posthumes, quelles rancunes et quelles aspirations vers un état qui leur donnera la liberté de l’âme et du talent !

L’oracle du château, l’homme universel et infatigable, c’est Nicolas de Malézieu, ancien maître de mathématiques du duc de Bourgogne et du duc du Maine, ami de Bossuet et de Fénelon même au fort de leur querelle, membre de l’Académie des choses et de l’Académie des paroles, type de l’érudit aimable, à l’âme un peu faible, tournée vers le sourire des grands, enseignant à la duchesse latin, philosophie, astronomie ; traduisant à livre ouvert et