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un levier d’enthousiasme, un instrument de ses faiblesses. Quelques-uns, comme les Brancas, recrutent leurs auteurs parmi les membres de leur société : Forcalquier, Pont de Veyle, le président Hénault. À douze ans, Mlle Necker écrit une comédie en deux actes, les Inconvéniens de la vie de Paris, jouée chez ses parens à Saint-Ouen, devant Marmontel, qui naturellement, en membre bien appris de l’innombrable tribu des Philintes et des dos voûtés, la porte aux nues. Dans son château de Passy, M. de La Popelinière donne des comédies, presque toujours de lui, jouées en perfection par sa femme, et applaudies grâce à ses excellens soupers. Filles d’opéra, courtisanes à la mode, se mettent de la partie ; dans le théâtre de leur hôtel de la Chaussée-d’Antin, les demoiselles Verrières ont sept loges en baldaquin, et puis des loges grillées où se glissent les femmes du monde qui veulent voir sans être vues ; Colardeau, et après lui, La Harpe s’y multiplient, à la fois auteurs, acteurs, amans de cœur ; peu ou point de farces, de parades grossières, mais des pièces empruntées à la comédie française ou italienne : c’est là aussi que pour la première fois on représenta la Julie de Saurin, et l’Espièglerie de Billard du Monceau. Rien de plus élégant, de mieux fréquenté que les théâtres de la Guimard, dirigés par Carmontelle, le grand faiseur de proverbes, peintre moraliste en détrempe, si renommé alors, si oublié aujourd’hui : décorations d’un goût parlait, tentures de taffetas rose relevées d’un galon d’argent, magnifique jardin d’hiver ; présidens de parlement, cordons bleus, princes du sang occupaient les meilleures places. Je ne sache pas qu’on y vît les prélats de cour ni les jolis abbés tonsurés, plus exacts aux levers des beautés de robe et d’épée qu’aux devoirs de leur ministère, mais ils ne se gênent guère pour fréquenter l’opéra, la comédie, où leur présence amena mainte algarade avec le parterre. Quant aux spectacles particuliers chez des gens du monde, c’est péché véniel dont ils ne se privent point. Et tout Paris se gaussa de la mystification de M. de Jarente, évêque d’Orléans, chargé de la feuille des bénéfices. Le duc de Choiseul lui recommande chez la comtesse d’Amblemont deux jeunes abbés ; charmé par leur attitude réservée et leur modestie, l’évêque promet la faveur demandée et leur donne l’accolade. Quelques instans après, il voit sur la scène deux actrices qui ressemblent trait pour trait aux protégés du duc ; les rires de l’assistance achèvent de l’éclairer, et tout le premier il s’associe à la gaîté générale. Cependant, il dut se repentir de son imprudence, car l’aventure s’ébruita et on en tira un ballet, le Ballet des deux abbés, qui fit les délices des salons.

Du grand monde, de Paris et Versailles, cette mode ne tarde pas à gagner la bourgeoisie, à émigrer en province : les seigneurs