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vu Mme de Caylus jouant à Saint-Cyr devant la cour tous les rôles d’Esther qu’elle savait à force de les entendre répéter, et les jouant si bien qu’on la trouva trop touchante, trop profane. Mme de Maintenon décida que les petites filles de Saint-Cyr ne représenteraient plus Andromaque, parce qu’elles y mettaient trop de sentiment ; et quand Racine eut écrit Athalie, la canaille des faux dévots et des mauvais poètes empêcha qu’elle ne fût jouée, car, glapissaient-ils, il était honteux de montrer sur le théâtre des demoiselles rassemblées de toutes les parties du royaume pour recevoir une éducation chrétienne, et non moins honteux que Mme de Caylus se fît voir ainsi à toute la cour. S’inspirant des mêmes principes, le parlement, peu après l’expulsion des jésuites, en 1765, interdit formellement la comédie et la tragédie dans les maisons d’éducation. Mais il n’en fut ni plus ni moins ; et, après comme avant, collèges et couvens eurent leurs spectacles, leurs ballets même, ainsi qu’en témoigne une piquante historiette. À Fontevrault, le maître de danse s’efforçait de faire répéter à Madame Adélaïde un ballet qui avait nom : le Ballet couleur de rose. La princesse trouvait le ballet fort mal qualifié et prétendait ne prendre sa leçon qu’à la condition qu’on l’appellerait le Menuet bleu : le maître d’insister, la princesse de tempêter, de trépigner. L’affaire devenant grave, on assembla le chapitre qui, après mûre délibération, prononça que le ballet serait débaptisé et appelé : le Menuet bleu.

On avait débuté enfant, on continuait jeune femme ; le mariage servait de port d’armes et donnait la clé des champs ; des chastes chefs-d’œuvre de Racine on passait aux pièces plus libres, pour verser quelquefois dans les parades et les parodies. Chaque grande maison a théâtre à la ville, théâtre à la campagne, et, presque toujours, un ou plusieurs auteurs attitrés, dont les compositions alternent avec le répertoire, ministres des plaisirs littéraires, plus ou moins domestiqués, qui fabriquent à volonté prologues, épîtres dédicatoires, comédies, opéras, tragédies : chez la duchesse du Maine, Malezieu, Genest, Voltaire, auprès du comte de Clermont et du duc d’Orléans, Laujon, Collé, auprès de Monsieur, frère du roi, des Fontaines, Piis et Barré[1]. Maurice de Saxe enrégimente Favart pour diriger cette troupe qui l’accompagne aux armées, dont il fait

  1. Voir les très intéressantes études de M. Adolphe Jullien : la Comédie à la cour, le Théâtre des demoiselles Verrières. — Mémoires de Favart, de Saint-Simon, du duc de Luynes, de Mme de Staal-Delaunay. — De Loménie, la Comtesse de Rochefort et ses amis, 1 vol. ; Calmann Lévy. — Gaston Maugras, les Comédiens hors la loi. — Les Divertissemens de Sceaux, 2 vol., 1725. — Lemontey, Études sur la Régence. — Mémoires de Bachaumont. — Dutens, Mémoires d’un Voyageur qui se repose, t. II. — Arvède Barine, Princesses et grandes dames. — Correspondance de la duchesse d’Orléans. — Desnoireterres, Cours galantes, 4 vol.