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sel dans l’eau, et sa purification par l’addition des cendres ; opérations qui en séparaient d’abord les matériaux terreux et insolubles et pouvaient même avec des tours de main convenables, éliminer le sel marin. Mais ces tours de main étaient le secret de chaque praticien. Les règles méthodiques de la purification n’étaient pas connues : elles auraient exigé l’emploi de procédés d’analyse qui n’ont été entièrement fixés que vers la fin du XVIIIe siècle.

Ainsi s’établit en silence l’industrie traditionnelle des salpêtriers, industrie indispensable pour la préparation de la poudre, mais sur laquelle nous ne possédons pas de renseignemens positifs avant les règlemens faits au XVIe siècle (édit de 1540), au temps de François Ier : or, cet édit s’applique à une corporation constituée.

La fabrication de la poudre avec le salpêtre, même purifié, comporta d’abord les variantes les plus extrêmes. Tantôt on pulvérisait ensemble plus ou moins finement le salpêtre, le soufre et le charbon, humectés avec de l’eau, et on laissait sécher au soleil de crainte d’enflammer le mélange par l’action du feu. Les noms du charbon de saule ou de tilleul indiquent que l’on avait déjà reconnu que les propriétés de la poudre dépendait de celle du charbon employé dans sa fabrication. Le soufre était parfois employé fondu ; peut-être aussi le salpêtre. Quelques-uns y ajoutaient au hasard de l’eau ardente (alcool), ou du vinaigre ; ou bien du camphre, des huiles combustibles, des matériaux divers, tels que l’arsenic sulfuré, la limaille de fer, le mercure, qui figurent dans les formules des XIVe et XVe siècles. L’arsenic sulfuré, en particulier, était réputé augmenter la force projective, d’après le manuscrit latin n° 197 de Munich, et l’auteur ajoute en italien : Diavolo ajutaci te ; amen.

Ce n’est qu’après de longs essais que les formules de la poudre furent arrêtées, vers le XVIIe siècle, dans des proportions qui n’ont plus varié que d’une façon extrêmement limitée jusqu’à notre temps. Ce fait n’a rien de surprenant, car les perfectionnemens de la poudre à canon n’ont pu être réalisés que lorsque l’objet même de son emploi a été clairement défini. Or il n’en a pas été ainsi tout d’abord, et les usages essentiels auxquels cette poudre est appliquée aujourd’hui n’ont été reconnus que peu à peu.

Cet emploi repose sur l’utilisation de la force explosive de la poudre et surtout de sa force projective. Or ces forces explosives et projectives étaient ignorées des anciens, et il ne paraît pas prouvé que les Byzantins s’en soient servis dans la mise en œuvre du feu grégeois. Il y avait là une notion absolument nouvelle, inattendue pour ceux qui l’observèrent d’abord et qui en furent,