Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/809

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les tours et machines de bois, auxquels il adhérait opiniâtrement, ses effets sur les guerriers bardés de 1er étaient moins efficaces. Le collier du cheval de saint Louis en fut couvert un jour, sans accident grave. Guillaume de Boon le reçut aussi sur son bouclier, sans en être brûlé. Guy Malvoisin, dans la même croisade, après avoir été couvert de feu grégeois, fut éteint par ses gens. Bref, une fois le premier étonnement passé, on apprenait à l’éviter et à s’en garantir, pourvu que l’on ne se bornât, pas à se jeter à genoux, comme le faisait Joinville. Nous ne voyons pas que cet engin, dirigé contre les soldats, fut beaucoup plus redoutable que les anciens projectiles, non armés de feu, projectiles dont l’usage se poursuivit concurremment, jusqu’au temps de l’artillerie proprement dite. On éteignait le feu grégeois par les mêmes procédés que les anciens artifices incendiaires : en projetant dessus du sable, ou de la terre, en y injectant du vinaigre ou de l’urine.

Examinons de plus près les effets du feu grégeois. Parmi ceux que les historiens décrivent, il en est certains qui appartenaient déjà aux anciennes compositions incendiaires, dont la tradition vint se confondre avec la sienne ; mais il en est d’autres qui impliquent l’intervention d’un agent nouveau, je veux dire le salpêtre, susceptible d’entretenir la combustion, même à l’abri de l’air, et de lui donner cette intensité extraordinaire, cette lumière, ce caractère bruyant, cette faculté de projeter la flamme en tous sens, qui frappèrent si vivement les contemporains et qui firent du feu grégeois une arme nouvelle et plus redoutable contre les machines et les vaisseaux. En réalité, c’était une masse d’artifice, formée de salpêtre, de soufre et de résine et autres matières combustibles aisément fusibles. De semblables mélanges recèlent en outre des effets explosifs particuliers ; mais ces effets ne furent pas soupçonnés d’abord : ce n’est qu’à la suite d’une longue pratique que l’on fut amené, par l’empirisme, à les reconnaître, et à en tirer parti. Le feu grégeois disparut alors, par suite des progrès mêmes amenés par sa connaissance plus approfondie. Mais ces progrès furent d’autant plus lents que la composition du feu grégeois était tenue soigneusement secrète par les Byzantins. La fabrication même, d’après Cedrenus, était un monopole réservé à une famille.

Comment se procurait-on le salpêtre, ingrédient essentiel de la nouvelle composition ? Aucun renseignement n’est venu nous l’apprendre. Ce point pourtant est capital. Le salpêtre, en effet, n’a pas été distingué spécialement par les anciens, entre les efflorescences salines fort diverses qu’ils désignaient sous les noms de fleur de natron ou de nitre, écume de natron, etc. De telles efflorescences, recueillies à la surface de certains terrains et dans