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les cavaliers, avec leurs lances garnies de feu, l’attaque des portes de forteresse et des navires par le feu, les projectiles, flèches, carreaux, barils et carcasses incendiaires de toute nature. On y voit des chars porte-feu, des chevaux et jusqu’à des chiens, chargés d’appareils ignifères. Dans l’ouvrage de Reinaud et Favé, un atlas annexé reproduit un certain nombre de ces figures.

Voici comment on pratiquait cette tactique : « Un soir, dit Joinville, advint que les Turcs amenèrent un engin par lequel ils nous jetaient le feu grégeois à planté… La manière du feu grégeois était telle qu’il venait aussi gros qu’un tonneau, et de longueur la queue en durait bien comme d’une demi canne de quatre pans : il faisait tel bruit à venir qu’il semblait que ce fût foudre qui chût du ciel et me semblait d’un grand dragon volant par l’air, et jetait si grande clarté qu’il faisait aussi clair dans notre host comme le jour, tant y avait grande flamme de feu. »

Le feu devint ainsi un agent universel d’attaque. Cette transformation caractérise l’emploi du feu grégeois dans les guerres d’Orient, où il ne cessa d’être employé jusqu’au XVIe siècle. On s’en servit de part et d’autre au siège de Constantinople, en 1453, concurremment avec la nouvelle artillerie.

Le moment est venu d’examiner la raison d’un emploi si général du feu grégeois et de dire pourquoi cet artifice était à la fois plus énergique et plus aisé à mettre en œuvre que les anciens mélanges de poix, de soufre et de résine, employés par les Grecs et les Romains.

Pour nous en rendre un compte exact, examinons d’abord comment on l’employait, et quels effets réels il produisait, en écartant les exagérations des chroniqueurs et des écrivains rhétoriciens.

Le feu grégeois, autrement dit feu liquide, feu marin, feu artificiel, ou bien encore feu romaïque, ou feu médique, se projetait par des tubes métalliques placés à l’avant des navires. Des bateaux spéciaux, dits porte-feu, porte-tubes, chelandres, lui étaient destinés. On en employa jusqu’à 2,000 au Xe siècle, lors d’une expédition contre les Sarrasins de Sicile.

Cependant, dans chaque navire, un seul homme suffisait pour son service et il remplissait en même temps le rôle de rameur : ce qui indique que la projection n’exigeait ni baliste, ni machine compliquée. Le procédé même pour le lancer n’est jamais désigné clairement, à l’exception de deux mots d’Anne Comnène : διὰ τῶν στρέπτῶν (dia tôn streptôn) ; mots traduits, à tort sans doute, en ces termes : « par des ressorts. » Je dis à tort, car les anciens ne paraissent pas avoir employé le jeu des ressorts proprement dits dans leurs machines de guerre. Ce n’est que vers la fin du moyen âge que les