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au Christ par son cœur et par sa vie, de l’imiter dans ses plaisirs, dans ses délassemens comme dans ses souffrances, de n’avoir plus d’autre caractère que son absolue conformité aux mœurs du dieu qu’il adorait et de le faire en quelque sorte revivre en lui. Avant sa conversion, ce fils d’un riche marchand d’Assise avait aimé passionnément les joyaux, les belles étoffes, la soie, le velours, le brocart, l’or et l’argent ; quand la grâce l’eut touché, il devint par une combinaison étrange le plus ascète à la fois et le plus esthétique de tous les saints. Personne ne se traita avec plus de rigueur, et jamais personne ne fut plus sensible aux joies que donne la nature à quiconque est capable de jouir sans posséder. La lumière, le soleil, les arbres, l’herbe des prairies, la musique des bois et des eaux courantes mettaient son âme en fête, et quand pour manger un morceau de pain bis, il s’attablait devant un rocher de marbre, dont il admirait l’éclatante blancheur, il se croyait en paradis.

Cet homme exerça sur l’art italien la plus heureuse influence. Grâce à saint François d’Assise, le Christ était ressuscité ; il n’y avait plus douze siècles accomplis entre lui et les peintres qui racontaient son histoire, il était devenu leur contemporain : on l’avait rencontré, on avait entendu sa voix, touché ses mains, ses pieds et ses plaies. Désormais ils pouvaient en sûreté de conscience encadrer sa figure dans les sites de l’Ombrie qu’avait parcourus et aimés celui qui avait été son image vivante. Le fond d’or fit place à de vrais ciels, voilés ou transparens, à de doux paysages naïvement imités, sur lesquels son regard se reposait avec complaisance. Il semblait dire : « Laissez venir à moi les fleurs, les bêtes des champs et les oiseaux ; le royaume divin appartient à ceux qui leur ressemblent. »

La peinture, délivrée de ses superstitions et de ses scrupules, avait marié le profane au sacré, mêlé les choses de la terre aux choses du ciel ; elle ne s’en tint pas là. On s’avisa que, de même qu’un roi, dans une réception publique, se distingue de ses courtisans par l’aisance, la liberté de ses manières, c’est à la perfection du naturel qu’on reconnaît une vraie divinité. Comme l’a remarqué Hegel, dans les tableaux où les vieux maîtres allemands ont représenté la Vierge et l’enfant Jésus entourés de la famille des donataires qui s’agenouillent devant eux, ils ont eu soin de donner à ces hommes et à ces femmes en adoration un air de circonstance, de cérémonie. Ces humbles mortels se sont arrachés à leurs occupations, à leurs pensées quotidiennes pour s’acquitter d’un devoir ; leur recueillement est profond, leur piété est touchante, mais leur physionomie exprime un sentiment qui n’est pas une habitude. La