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magots avaient été marqués au coin de l’immortalité. Il y avait en eux une telle puissance de vie qu’après plus de deux siècles, ils semblent nés d’hier.

Ce n’est pas seulement par le choix de ses sujets que le réaliste se révèle, c’est plus encore par sa manière de les traiter, par ses procédés, par sa méthode, qui est la méthode naturelle. Comme la nature, il aime à multiplier les êtres, à nous montrer que des nuances, des degrés presque insensibles suffisent à les distinguer, de combien de façons différentes on peut varier un thème et comment une même lumière se diversifie par la diversité des objets où elle se réfléchit. Comme la nature, il ne méprise rien. Il n’y a pour lui ni de petits sujets ni de petites choses ; les plus petites sont souvent les plus expressives. Fénelon comparait un esprit épuisé par le détail « à une lie de vin sans goût et sans délicatesse. » Mais si le réaliste a l’esprit de détail, ce n’est pas par une vaine curiosité de l’inutile et des minuties oiseuses. Le détail qu’il recherche est celui qui fait voir ; ce n’est pas celui qui complique, c’est celui qui explique. Vous lui reprocheriez en vain de descendre trop dans le particulier ; en vain lui diriez-vous que ce qui vous intéresse, c’est le gros de l’affaire, que vous vous souciez peu d’être informés par le menu. Il vous répondrait qu’il ne songe pas à vous plaire, mais à se mettre en règle avec la nature, qu’il a appris d’elle tout ce que valent les petits moyens, et que s’il détaille, c’est pour mieux rendre le caractère naturel des choses. Pourriez-vous retrancher quoi que ce soit d’un portrait de Holbein, une seule ride, une seule touffe de poils, sans en affaiblir le caractère ?

Comme les détails, le réaliste multiplie les accessoires, et en ceci encore, il imite la méthode naturelle. Il sait que, si l’accessoire doit toujours suivre le principal, les choses ne sont rien sans leurs circonstances et dépendances, que dans la nature tout a ses rapports, qu’il y a une affinité et des communications constantes entre l’être vivant et tout ce qui l’entoure, que le ciel, l’air, la terre agissent sur lui, que sa destinée est le résultat de mille influences occultes. Transplantez-le, il n’est plus lui-même, il devient inexplicable. Or pour le réaliste, la première destination de l’art est à la fois de manifester les caractères et de les expliquer, et au surplus, c’est dans l’harmonie des êtres et de leur entourage qu’il cherche et trouve l’harmonie de son œuvre. Toute existence dépaysée, toute réalité déclassée lui fait l’effet d’une anomalie incompréhensible, d’un prodige déplaisant. Si les maisons à toit plat lui agréent en Tunisie, elles lui désagréent souverainement dans les pays où il neige. Il aime à voir les palmiers sous le ciel de la