Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/719

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La première innovation électorale se fonde sur ce fait que la population a augmenté dans certaines parties du royaume-uni, dans l’Angleterre proprement dite, qu’elle a, au contraire, diminué dans d’autres parties. De là, la nécessité de modifier la représentation nationale, de la proportionner aux mouvemens de la population. Il résulterait seulement de ce fait, par une coïncidence piquante et imprévue, que le chiffre de la représentation se trouverait augmenté justement là où les conservateurs ont le plus de chances, qu’il serait, en revanche, réduit en Écosse, dans le pays de Galles favorables aux libéraux et surtout en Irlande où l’opposition est toujours sûre de triompher. Première innovation merveilleuse ! Ce n’est pas tout : lord Salisbury, dans la pensée avouée d’enlever au home-rule son armée, propose d’exclure du vote les illettrés. Le coup est dirigé contre l’influence des prêtres irlandais qui sont les vrais chefs du mouvement national en Irlande. C’est réellement ici la guerre du vieux tory contre le papisme ! Pour déguiser ou pallier ce qu’il y a de réactionnaire dans ces combinaisons, il est vrai, lord Salisbury se hâte d’accorder aux libéraux une réforme réclamée depuis longtemps : il supprime le privilège du vote multiple, le droit réservé jusqu’ici aux propriétaires de voter dans toutes les circonscriptions où ils ont des propriétés. Pour couronner l’œuvre enfin, pour l’égayer aussi peut-être, lord Salisbury, en intrépide novateur, inscrit dans son projet l’affranchissement politique des femmes, le droit de vote pour les femmes. Et tout cela, mêlé ensemble, représente la réforme électorale conçue et proposée par le premier ministre de la reine Victoria ! En réalité, ce qu’il y a de plus original dans cette prétendue réforme électorale, à part le droit des femmes, à part le subterfuge imaginé pour servir les conservateurs, par un remaniement des circonscriptions, c’est la campagne engagée contre les prêtres irlandais. Lord Salisbury n’en est peut-être pas venu là du premier coup.

Lorsqu’il y a quelques années, à l’occasion du jubilé de la reine, le chef du cabinet envoyait un pair catholique, lord Norfolk, à Rome auprès du Vatican, il lui avait donné, on le sait aujourd’hui, à côté d’une mission ostensible de courtoisie, une mission particulière des plus graves. Il avait espéré obtenir du pape une intervention auprès de l’église d’Irlande à peu près analogue à celle que M. de Bismarck obtenait de Léon XIII auprès des catholiques allemands à l’époque du septennat militaire. Le pape, sans refuser absolument, sentait ce qu’il y avait de délicat dans l’intervention qu’on lui demandait ; il agissait avec une extrême mesure. De fait, il n’en a rien été ; le clergé irlandais est resté le vrai chef du mouvement national, et les récentes mésaventures de M. Parnell n’ont fait que fortifier son influence. Lord Salisbury cherche aujourd’hui à prendre sa revanche par sa réforme électorale. Il se flatte tout à la fois de neutraliser le clergé par