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reprendre ses vraies proportions dans l’atmosphère britannique. La réception publique faite au petit-fils de la reine paraît avoir été courtoise, sans nulle exagération, et surtout sans aucune démonstration, qui puisse encourager une politique de coups de tête. L’empereur a pu passer sa revue militaire à Wimbledon sans incident. Il a eu son gala à Guildhall, dans ce puissant asile du négoce où l’on n’aime pas les aventures, et dans le discours du jeune souverain comme dans le discours du lord-maire, il n’y a pas eu une dissonance, pas une parole risquée : il n’y a eu qu’une invocation à la paix ! Tout avait été sans doute réglé et calculé d’avance. Guillaume II s passé une journée chez lord Salisbury, à Hatfield, où l’attendait une somptueuse hospitalité. Il a pu se promener dans le vieux parc, toucher de sa main le chêne trois fois centenaire planté par la reine Elisabeth, — et si sous les ombrages de Hatfield il y a eu des confidences entre le souverain allemand et lord Salisbury, on n’en a rien su naturellement. Lord Salisbury ne l’a pas dit à M. Labouchère. Tout ce qu’on sait ou à peu près, c’est que l’Angleterre, sans déguiser ses sympathies pour les alliances continentales, évite de se compromettre par des engagemens exclusifs, qu’elle tient, comme on le dit, à garder « ses mains libres, » et que dans la réception de Hatfield l’ambassadeur de France a eu sa part des témoignages de la courtoisie anglaise. On s’est séparé presque sans bruit ; puis l’empereur Guillaume a disparu dans les brumes du nord, cinglant vers les côtes de Norvège où il est allé se retremper à l’air plus vif et se reposer des fêtes britanniques.

A peine l’empereur était-il parti cependant, l’Angleterre a reçu aussitôt une visite nouvelle qui pourrait peut-être passer pour un supplément ou un épilogue de la grande visite impériale. L’héritier de la couronne d’Italie, le prince de Naples, est arrivé à Londres comme un messager des bonnes intentions italiennes. Et lui aussi, le jeune prince, il a eu ses réceptions, il a eu son banquet à Windsor, sa visite à Hatfield. Il a été fêté ; les fêtes pourtant paraissent plus modestes. Il y a même des journaux qui ont saisi l’occasion de faire sentir à l’Italie ce qu’ils entendent par l’équilibre de la Méditerranée, en la félicitant de voir sans envie l’Angleterre maîtresse de Gibraltar et de Malte, campée en Égypte et à Chypre. Bref, c’est ce qu’on pourrait appeler une représentation nuancée de la triple ou de la quadruple alliance qui vient d’être donnée à Londres, — l’Allemagne, l’Italie comptant sur l’Angleterre, — l’Angleterre comptant sur tout le monde sans trop se lier avec personne. Mais voici l’imprévu, le jeu des contrastes qui ne manquent jamais dans les affaires humaines !

Est-ce une simple coïncidence ? Y a-t-il eu l’intention avouée ou inavouée d’opposer à une démonstration qu’on dit pacifique une démonstration qui n’est pas moins pacifique ? Toujours est-il que les fêtes de la triple alliance semblent désormais avoir leur contre-partie dans un