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de la dernière grève des chemins de fer ; mais il y a de plus, après cette récente expérience, un tait évident, saisissant : c’est que le moment est venu de régulariser, de ramener à leur destination tous ces syndicats qui se multiplient, qui, au lieu d’être un bienfait pour le monde du travail, menacent de devenir un instrument de désorganisation. Il ne s’agit pas de céder à un esprit de réaction, de supprimer le droit de grève et de coalition pour les ouvriers, de rétracter la loi de 1884, qui a constitué les syndicats. Il s’agit tout simplement de rester dans la vérité, de ne pas aller plus loin, de ne pas aggraver surtout le danger en proposant, comme on le faisait récemment, d’affaiblir les garanties imposées à des associations qui sont déjà un privilège. Les syndicats ont été créés pour les ouvriers, au profit des ouvriers ; ils n’ont pas été créés pour être le refuge de ceux qui ne songent qu’à exploiter les griefs, même les misères des populations laborieuses. Les syndicats sont faits pour permettre aux ouvriers de se réunir, de se concerter, de défendre leur liberté, leurs droits et leurs intérêts ; ils ne sont pas institués pour être une force révolutionnaire et préparer la dictature des agitateurs, pour décréter la grève obligatoire et disposer de la liberté du travail, pour devenir une sorte d’attentat organisé contre de grands services publics. C’est là précisément la périlleuse confusion dévoilée par la dernière grève. C’est aussi ce qui est fait pour préoccuper désormais les pouvoirs publics, dont le rôle n’est point apparemment de subordonner à de faux calculs de basse popularité les intérêts de la puissance industrielle et de la sécurité de la France.

Sans doute, il faut le croire, l’Europe qui a tant vu de choses finira par s’accoutumer à tous ces spectacles variés et souvent imprévus qui lui sont offerts, — d’autant plus qu’il est bien entendu, on ne cesse de le lui répéter, que tout ce qui se fait est pour son bien et pour son repos. Le plus simple est donc de suivre sans illusion, sans se laisser abuser, sans rien exagérer, cette série de représentations d’été qui, sous la forme de voyages princiers, de réceptions, de démonstrations, sont les événemens du jour. On ne peut pas dire assurément que tout soit sans signification et sans conséquence ; il est bien évident au contraire qu’on peut voir sans grand effort à travers tout cela les situations se dessiner de plus en plus, les affinités entre puissances se prononcer, les politiques se caractériser ou se rechercher pour ainsi dire. L’essentiel est que ces manifestations de courtoisie, où il y a toujours un peu d’ostentation, ces visites, ces échanges de politesse qui se succèdent, ne dépassent pas la mesure au-delà de laquelle ils prendraient un autre caractère.

A tout prendre, le voyage que l’empereur d’Allemagne vient de faire en Angleterre est resté dans la mesuré et s’est bien passé. S’il avait commencé avec un peu d’apparat et de fracas, il n’a pas tardé à