Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/707

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

apprendre. M. de Hübner aime les Italiens, parce qu’ils sont les premiers-nés de la civilisation ; il adore l’Italie parce qu’elle est le pays des éternels et universels souvenirs, le retentissant théâtre où s’est jouée en tout temps la grande comédie humaine : « Nous voici dans la campagne de Rome. Parmi beaucoup de ruines, le tombeau d’un patricien du siècle d’Auguste attire notre attention ; ses cendres y reposaient avant que le christianisme eût paru dans le monde. Sur le magnifique couronnement du mausolée, on aperçoit des murs à créneaux, restes dégradés d’un fort construit par quelque baron romain ; nous sommes ici en plein moyen âge. Mais sur la toiture du fort, un campagnuolo s’est bâti une cabane avec des débris de bas-reliefs sculptés dans le marbre. La porte est encadrée dans un berceau de vigne, et un figuier, qui a poussé entre deux pierres, lui verse son ombre. Dans cette maison vingt siècles cohabitent. »

M. de Hübner a pardonné aux Italiens les vilaines heures qu’il passa à Brescia le 2 avril 1848. Ce qui est plus méritoire de la part d’un diplomate, il leur pardonne aussi d’avoir démenti les prédictions qu’il avait faites sur leur avenir. Frappé du peu d’homogénéité des diverses races qui se sont partagé la péninsule, il n’avait jamais cru qu’elles pussent se réunir en un corps de nation, et il traitait l’unité italienne de chimère. Elle s’est faite pourtant par l’habileté et la persévérance d’une maison royale, chez qui le génie de la politique est un héritage de famille. Condamnée à défendre son indépendance contre de puissans voisins, elle a combattu la force par la ruse, qui est l’arme des faibles. Les démocrates de Milan et de Venise répétaient sans cesse : « Laissez-nous faire, nous nous sauverons nous-mêmes : Italia farà da se. » Plus avisée, la maison de Savoie a pratiqué la vieille politique italienne, qui consiste à se servir de l’étranger, à employer un straniero pour se débarrasser d’un autre straniero. « Il semble, dit M. de Hübner, que les événemens m’aient donné tort. La nouvelle Italie a-t-elle vraiment l’étoffe d’un grand état ? J’appelle un grand état celui qui fa da se, celui qui a bâti tout seul sa maison, qui l’arrange à son gré et la défend lui-même. Je ne cherche pas à soulever les voiles de l’avenir. Je me permets seulement de remarquer que la diplomatie a plus contribué à la formation du nouveau royaume que son armée. D’habitude, les États se conservent par les moyens qui ont servi à les créer, et on peut croire que l’Italie sera plutôt une puissance diplomatique qu’un état militaire. Première question : l’importance que l’Europe lui attribue dès aujourd’hui, ne l’a-t-elle pas acquise par son accession à l’alliance de l’Autriche et de l’Allemagne ? Seconde question : son traité avec ces deux grandes monarchies n’a-t-il pas été conclu dans l’intention bien arrêtée de fortifier le jeune trône contre les menées inquiétantes du parti républicain ? »