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mutuelle dépendance de la politique et de la religion, qui devient trop aisément l’instrument de la pire tyrannie ; il est enfin, non point où on le veut voir, en tel ou tel endroit du livre et du système, mais dans la conception même que Bossuet se fait du fond des choses. Il n’en était peut-être que plus intéressant de le montrer poursuivant son idée jusqu’aux applications pratiques, et risquant ainsi, « pour la vouloir outrer et pousser trop avant, » de nous la rendre inacceptable.


V

Que vaut-elle cependant, et qu’en penserons-nous, au moment de conclure ? C’est ce qu’il est assez difficile de dire ; et, de la manière que Bossuet a posé la question, il nous faudrait, pour y répondre, discuter après lui la possibilité du miracle, la vérité des prophéties, et l’authenticité de la révélation. On conviendra que de tels problèmes ne se traitent point comme occasionnellement, et, — si j’ose l’avouer, — ne les ayant pas décidés pour ma part, ni ne sachant si je les déciderai jamais, il y aurait sans doute à les trancher moins de courage que de présomption, moins de liberté que d’improbité philosophique. Je me contenterai donc d’une seule remarque.

S’il est vrai, comme le croit Bossuet, — et on ne peut guère le lui disputer, — « qu’il n’y a pas de puissance humaine qui ne serve malgré elle à d’autres desseins que les siens, » c’est-à-dire, si l’histoire de l’humanité n’a en elle-même ni sa raison d’être, ni sa loi, ni seulement sa condition d’intelligibilité ; l’idée de la Providence ne l’explique pas mieux, mais ne l’explique pas moins aussi, n’a rien qui répugne davantage à la raison, ne soulève pas enfin plus de difficultés que les idées qui l’ont remplacée pour nous : celle du progrès, ou celle de l’évolution. Ce sont trois hypothèses. La dernière : celle de l’évolution, a d’ailleurs pour elle d’être plus conforme aux données de la science contemporaine ; la seconde : celle du progrès, a quelque chose de plus consolant, mais aussi de plus douteux, et, pour ainsi parler, de moins autorisé par l’histoire ; la première a surtout contre elle de nous rengager dans l’anthropomorphisme, et, conséquemment, d’abaisser, en la rapprochant de nous, l’idée même de la divinité. Les philosophes, qui savent les moyens d’épurer les idées de ce que l’imperfection du langage humain y mêle inévitablement de sensible ou de matériel, ont en général préféré l’hypothèse de la Providence aux deux autres. Je ne parle pas des chrétiens, que l’accusation d’anthropomorphisme ne saurait guère toucher, puisque Dieu « a fait l’homme à son image et à sa ressemblance. » Les politiques,