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vérité, toujours une et toujours la même, l’involontaire hommage de ses contradictions.

Si cette idée se retrouve partout dans l’Histoire des variations ; si c’est elle peut-être qui en fait l’âme diffuse ; si Bossuet n’y perd pas une occasion de la remettre en lumière, ne pourrons-nous donc pas dire avec raison qu’il se montre toujours, là, comme ailleurs, le philosophe ou le théologien de la Providence et le ministre, pour ainsi parler, des vues de son Dieu sur le monde ? Le prodigieux succès de la réforme l’aurait fait trembler pour l’Église ; et, ainsi qu’il le dit lui-même, « ce n’était pas sans étonnement » qu’il lisait la parole de l’apôtre : Oportel hœreses esse. Mais, à la clarté du dogme de la Providence, il a compris ce « terrible il faut ; » et la plus redoutable épreuve qu’eut traversée l’église s’est changée à ses yeux en un témoignage de la bonté de Dieu sur ses élus. En ce sens, l’Histoire des variations n’est qu’une application particulière du principe posé dans le Discours sur l’histoire universelle, et la justesse même de l’application achève, pour Bossuet, de démontrer la vérité du principe.

En veut-on d’autres preuves encore ? On les trouvera jusque dans le Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même. Car pourquoi Bossuet n’y a-t-il pas consacré moins d’un livre entier, le cinquième, qui n’en est pas le moins curieux, à démontrer « l’extrême différence de l’homme et de la bête ? » C’est un problème actuel encore aujourd’hui, s’il en fût, et dont on peut bien dire que vingt autres dépendent, y compris celui même de l’immortalité de l’âme et de la Providence. Était-ce qu’il crût bien nécessaire, comme on l’a prétendu, de réfuter le paradoxe de Descartes sur les animaux machines ? En aucune façon, mais il voulait enlever aux « libertins » l’argument qu’ils tiraient contre la Providence de l’apparente identité de l’homme et de l’animal. Ils allaient répétant le mot de l’Ecclésiaste : Unus est interitus hominum et jumentorum ; et ils en concluaient que Dieu ne se souciait pas plus des hommes que des bœufs : Numquid de bobus cura est Deo ? N’était-ce donc pas un grand point de gagné si l’on établissait contre eux, sans aucun recours à la révélation, mais par le seul secours de l’observation, que l’homme diffère extrêmement de la bête ? Le cinquième livre du Traité de la connaissance de Dieu n’a précisément pas d’autre objet ; et nous, les contemporains de Darwin et d’Hæckel, quand nous cherchons où est la différence, nous la trouvons où Bossuet l’a mise.

Là, également, est l’explication de la vivacité avec laquelle, dans plusieurs lettres adressées à l’évêque de Castorie, et à un disciple de Malebranche, il a pris parti contre l’auteur de la Recherche de