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laquelle, ayant montré la raison de toutes les autres, il lui eût si peu coûté de multiplier les exemples qu’au contraire il en a trop donnés, et que, comme son Discours est tout ce qu’il est sans l’Inde ni la Chine, il le serait encore s’il n’en avait pas consacré à l’Egypte un chapitre entier.

On nous pardonnera d’avoir si longuement insisté sur le Discours sur l’histoire universelle. C’est qu’on le lit peu, et on le lit mal. C’est qu’à force d’entendre dire « qu’il y a trop de religion dans la seconde partie pour ceux qui ont la foi et qu’il y en a trop peu pour les incrédules et pour les indifférens, » — ce qui n’est qu’une jolie antithèse, — il semble que l’on ne sache plus où est le centre et le nerf de l’ouvrage. C’est enfin qu’il a été l’œuvre préférée de Bossuet, et par conséquent, si nous voulons connaître sa philosophie, celle qu’il nous faut toujours relire. Il nous reste à montrer maintenant qu’une fois tout à fait maître, pour ainsi parler, de cette idée de la Providence, Bossuet n’a pas cessé de la développer encore, et qu’elle est demeurée jusqu’à son dernier jour l’idée essentielle de sa philosophie.


IV

Bien de plus naturel que de la retrouver dans ce Traité du libre arbitre, — qu’il composa, dit-on, comme son Discours, pour l’éducation du dauphin, — si le fond même en est d’accorder ou de concilier la liberté de l’homme, non point avec la « prescience, » mais bien avec la « Providence » de Dieu. C’est ce qu’il déclare en propres termes :


Nous concevons Dieu comme un être qui sait tout, qui prévoit tout, qui gouverne tout, qui fait ce qu’il veut de ses créatures, et à qui doivent se rapporter tous les événemens du monde. Que si les créatures libres ne sont pas comprises dans cet ordre de la Providence divine, on lui ôte la conduite de ce qu’il y a de plus excellent dans l’univers, c’est-à-dire des créatures intelligentes. Il n’y a rien de plus absurde que de dire qu’il ne se mêle point du gouvernement des peuples, de l’établissement ni de la ruine des états, comment ils sont gouvernés, par quels princes et par quelles lois, toutes lesquelles choses s’exécutant par la liberté des hommes, si elle n’est en la main de Dieu, en sorte qu’il ait des moyens certains de la tourner où il lui plaît, il s’ensuit que Dieu n’a point de part à ces événemens, et que cette partie du monde est entièrement indépendante.


Et on connaît la solution qu’il donne de la difficulté, plus sage, plus hardie peut-être en sa sagesse même, que bien des décisions