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toujours resté à ses vieux cahiers de Sorbonne ; » et peut-être, en rapprochant son Discours des circonstances qui le lui ont inspiré, le comprendrait-on mieux, si l’on ne l’admirait pas davantage ! On saisirait alors aussi l’occasion de dissiper une fâcheuse et indigne équivoque ; et, s’il y a plus de dix-huit cents ans que, sous ce nom de Providence, bien loin d’envelopper la même chose, chrétiens et philosophes entendent précisément le contraire, ceux-ci l’impossibilité pour Dieu même de déroger aux lois qu’il se serait imposées, et ceux-là la liberté de les renverser quand il lui plaît, on le dirait. La Providence des philosophes est si peu celle des chrétiens qu’elles sont, à vrai dire, la négation l’une de l’autre. Et s’il fallait enfin prendre parti dans le débat, voici le motif qu’on aurait et qu’on aura toujours de se ranger du côté de Bossuet. C’est qu’il y a quelque chose d’occulte et de mystérieux qui se joue dans les affaires humaines, — n’importe le nom dont on le nomme, fortune, ou hasard, ou nature, ou Dieu même ; — et, ce qui vaut sans doute ici la peine qu’on le remarque, il en est de cette idée de la Providence comme de celle de la chute originelle : nous sommes sans la seconde « incompréhensibles à nous-mêmes, » et, sans la première, c’est notre propre histoire qui nous devient inintelligible.

Mais il ne suffisait pas à Bossuet d’avoir établi contre les libertins le droit de croire au miracle, plutôt que le miracle même : il lui fallait encore, contre les juifs, montrer le Messie dans le Christ, et, dans le Nouveau-Testament, l’accomplissement des prophéties de l’Ancien. On ne doit pas l’oublier, si l’on veut bien entendre l’économie de son Discours. Ce qu’il n’avait fait qu’indiquer ou que pressentir au temps de sa jeunesse, dans les sermons où nous avons signalé la première idée du Discours lui-même, — Sur la bonté et la rigueur de Dieu, Sur le caractère des deux alliances, Sur Jésus-Christ objet de scandale, — dix ou douze chapitres de sa seconde partie n’ont d’autre objet que de l’éclaircir, que de le développer, que de le fortifier. Par les prophéties et par l’histoire, contre les « illusions, » les « inventions, » les « subtilités, » et « l’obstination » des rabbins, il s’efforce d’établir, il prétend démontrer que, si Jésus-Christ n’est pas le Messie, il faut alors que les « prophètes en qui les Juifs espéraient les aient trompés. » On remarquera là-dessus que si Bossuet ne savait pas l’hébreu, cependant il connaissait bien les raisons des docteurs juifs, grâce au savant Huet, son collègue dans l’éducation du dauphin, qui travaillait lui-même, en ce temps-là, à sa Démonstration évangélique ; grâce à Renaudot ; grâce encore à ces frères de Veil, deux juifs qu’il avait convertis au christianisme, et dont le second, sous le nom de Louis de Compiègne, devenu « interprète du roi pour les