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lui-même, c’est de nous apprendre que « Dieu a voulu tout décider, c’est-à-dire donner des décisions à tous les états, » ou, en d’autres termes, régler les conditions des hommes, celle du roi comme celle du prêtre, celle du marchand dans sa boutique ou de l’artisan dans son ouvroir, et leur donner à tous des principes de conduite qui le mêlent, pour ainsi dire, à toutes nos actions comme à toutes nos pensées. Descendant des hauteurs inaccessibles où jusqu’alors on l’avait placée, n’est-il pas vrai qu’ici l’idée de la Providence ne s’abaisse assurément pas, mais enfin s’humanise ? La preuve qu’on en cherchait dans de vains raisonnemens, Bossuet nous la fait voir et comme toucher en nous, dans le secret de notre conscience. Il y a une force cachée qui fait servir nos actes à des fins que nous n’avions ni prévues, ni souvent souhaitées, qui nous effraient quelquefois nous-mêmes, et cette force, c’est Dieu.

Arrivé là, il ne lui restait plus qu’à en montrer la présence dans l’histoire, et je ne sais si ce n’est pas le principal objet de ses Oraisons funèbres, mais surtout des deux premières : l’Oraison funèbre d’Henriette de France, datée, comme l’on sait, de 1669, et l’Oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre, prononcée le 21 août 1670. Bossuet avait quarante-trois ans. Rappellerai-je ces paroles, qui sont, ou qui étaient jadis, il n’y a pas longtemps encore, dans toutes les mémoires ? Le Français qui les vantait n’apprenait rien alors à l’étranger, et je commence à craindre que ce ne soit bientôt l’étranger qui nous les rapprenne :


C’était le conseil de Dieu d’instruire les rois à ne point quitter son Église. Il voulait découvrir, par un grand exemple, tout ce que peut l’hérésie, combien elle est naturellement indocile et indépendante, combien fatale à la royauté et à toute autorité légitime. Au reste, quand ce grand Dieu a choisi quelqu’un pour être l’instrument de ses desseins, rien n’en arrête le cours : ou il enchaîne, ou il aveugle, ou il dompte tout ce qui est capable de résistance. « Je suis le Seigneur, dit-il par la bouche de Jérémie ; c’est moi qui ai fait la terre avec les hommes et les animaux, et je la mets entre les mains de qui il me plaît. Et maintenant, j’ai voulu soumettre ces terres à Nabuchodonosor, roi de Babylone, mon serviteur. » Il l’appelle son serviteur, quoique infidèle, à cause qu’il l’a nommé pour exécuter ses décrets. « Et j’ordonne, poursuit-il, que tout lui soit soumis, jusqu’aux animaux, » tant il est vrai que tout ploie et que tout est souple quand Dieu le commande ! Mais écoutez la suite de la prophétie : « Je veux que ces peuples lui obéissent, et qu’ils obéissent encore à son fils, jusqu’à ce que le temps des uns et des autres vienne. » Voyez, chrétiens, comme les temps sont marqués, comme les générations sont comptées : Dieu détermine jusques à quand doit durer l’assoupissement, et quand aussi se doit réveiller le monde.