Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/667

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’évêque de Gand : « Parmi beaucoup de sectes impies dont les funestes doctrines déchirent le sein de la religion, il n’y en a ni de plus nombreuse en adeptes, ni de plus étendue, ni qu’on retrouve en plus de lieux sur terre que celle des athées, — secta ἀθέοτητος (atheotêtos), — je veux dire de ces libertins qui nient ou qui révoquent en doute la Providence divine et l’immortalité de l’âme. » C’est ce que disait également Contzen, dans sa Politique, dont il employait presque entièrement le premier livre à la réfutation des argumens des athées contre la Providence. Héritiers, par notre Montaigne, de l’épicurisme ou du naturalisme italien de la renaissance, s’il était un dogme qui fût en butte aux sarcasmes des libertins du XVIIe siècle, nous pouvons l’affirmer, c’était celui de la Providence ; — et si ce n’est pas la seule raison que Bossuet ait eue de le défendre, c’en est au moins la première.

Car il en avait d’autres, que je me contenterai d’indiquer en courant. — Les jansénistes, embarrassés peut-être par leurs doctrines sur la prédestination, qui restreignait singulièrement la liberté de Dieu même, n’avaient pour ainsi dire pas touché cette matière de la Providence. Est-ce pour ce motif secret que, si l’idée s’en retrouve dans l’Augustinus de Jansénius et dans les Pensées de Pascal, comme étant inséparable de l’idée même de Dieu, je ne me rappelle pas que le nom s’y en rencontre une seule fois ? — On sait d’autre part qu’à Metz, la seule ville de France où les juifs eussent un état légal, leur misérable condition avait éclaté aux yeux de Bossuet, tout jeune encore, comme une preuve vivante de la Providence de Dieu. N’a-t-on pas retrouvé, dans un sermon de cette époque, Sur la bonté et la rigueur de Dieu, le dessin un peu grêle, mais aisément reconnaissable de la deuxième partie du Discours sur l’histoire universelle ? — Et enfin, si, depuis longtemps, la tentation des libertins était d’imputer à la « Nature » ou au « Destin » la régularité de ce gouvernement du monde que la religion déférait à Dieu, le cartésianisme, en précisant ce que la tentation avait d’encore vague, n’avait-il pas fixé ce qu’elle avait avant lui d’incertain ? Bossuet, plus perspicace qu’on ne le veut bien dire, a compris que si les progrès de la science devaient bientôt menacer quelque dogme, c’était d’abord celui de la Providence.

Mais sa grande raison de s’attacher, pour ainsi dire, au dogme de la Providence, de le faire sien, — comme Pascal aurait fait celui de la chute originelle, s’il avait achevé son Apologie de la religion, — c’est qu’il n’y en avait pas qui convînt mieux à la nature de son génie. Qui donc a cru dire autrefois quelque chose de spirituellement malicieux, en appelant Bossuet « un conseiller d’État ? » C’était en tout cas un évêque, non un moine ; et j’entends par là qu’en même temps qu’un dogme et qu’une morale, sa religion est