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dans une autre, il en faut suivre les contradicteurs sur le terrain qu’ils se sont choisi ; et, à de nouveaux assauts, il faut ainsi qu’on oppose des défenses nouvelles.

C’est justement ce que Bossuet a fait. Sans doute, les païens eux-mêmes avaient déjà l’idée d’une Providence, puisque Lucrèce, en son poème, ne s’est rien proposé de plus capital que de la ruiner. En revanche, cette même idée, les stoïciens, eux, la considéraient comme constituant en quelque manière le fond de la définition de Dieu, a Que resterait-il à la neige, disait l’un d’eux, si on lui ôtait le froid, et au feu si on lui ôtait la chaleur ? De même, que resterait-il à l’âme si on lui ôtait le mouvement, et à Dieu si on lui ôtait la Providence ? » Les Pères étaient venus ensuite, ceux de l’église grecque, Chrysostome et Grégoire de Nysse, qu’à la vérité j’ai peu lus ; et ceux de l’église latine, saint Augustin, Orose, Salvien « le prêtre de Marseille, » avec son de Gubernatione Dei, et Boèce, à leur suite, et plus tard saint Thomas, combien d’autres encore, que j’ignore ou que j’oublie ! Mais si les principes étaient depuis longtemps posés et consentis, il y avait bien des conséquences que l’on n’en avait pas encore aperçues ou tirées ; et, sans parler de cette magnificence ou de cette force de style grâce auxquelles Bossuet devait presque égaler la grandeur de son sujet, personne avant lui n’avait donné plus d’extension à cette idée de la Providence, n’en avait fait des applications plus diverses, n’y avait enfin, et en un certain sens, plus savamment réduit la religion tout entière.

Aussi bien n’en était-il pas qu’il fût alors plus urgent de défendre contre les libertins, n’y en ayant pas, — ce sont les termes de Bossuet lui-même, — qui « fût exposée à des contradictions plus opiniâtres. » Pour le prouver, j’ai déjà plusieurs fois cité le père Garasse, en sa Doctrine curieuse des beaux esprits, ou Mersenne encore, dans ses Questions sur la Genèse. A leur témoignage, puisqu’on en a contesté la valeur, je puis joindre aujourd’hui celui de Lessius[1], ce même Lessius que Pascal a si fort malmené, mais qui n’en est pas moins l’une des gloires de la compagnie de Jésus. Nous avons, en effet, dans les Opuscules de Lessius, à la date de 1613, un traité dont le titre tout seul est assez caractéristique : de Providentia numinis, et animi immortalitate libriduo, advenus atheos et politicos ; et peut-être, en passant, n’est-il pas superflu de noter que Bossuet possédait les Opuscules de Lessius, sous le numéro 131 du catalogue de sa bibliothèque. Il possédait aussi, sous le numéro 314, la Politique d’un autre jésuite, le père Adam Contzen. Et Lessius disait, dans la Dédicace de son livre à

  1. J’y en joindrai d’autres encore, quand on le voudra.