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discussion. Que peut-on attendre de bon de l’émiettement des partis et de leur remplacement par des groupes minimes, sans programme général, sans autre boussole qu’un intérêt particulier ? s’écrieront les admirateurs des grands courans d’opinion, ceux-là surtout qui appartiennent à une majorité maîtresse du terrain. Que les proportionnalistes, dira-t-on encore, se mettent d’accord entre eux sur une méthode reconnue pratique, avant de venir nous vanter leur orviétan électoral !

A tous ces reproches, nous nous contenterons de répondre, d’une part, que la représentation proportionnelle a été préconisée par des hommes marquans de tous les partis et de tous les pays, qui estiment qu’elle offre d’immenses avantages, et, de l’autre, qu’elle est tenue, par ses partisans, pour un système d’une application aisée.

La meilleure preuve, d’ailleurs, que ce n’est pas une utopie fallacieuse, une brillante bulle de savon, c’est qu’elle a déjà reçu la sanction de l’expérience. Nous parlons en ce moment de la représentation proportionnelle proprement dite[1] et non pas seulement du vote limité, dans lequel les électeurs sont tenus d’inscrire sur leur bulletin moins de noms qu’il n’y a de députés à élire, de façon que le parti le plus fort n’obtient plus la part du lion, mais laisse quelque chose à la principale minorité. Ce système réalise sans doute un progrès sur l’état de choses généralement en vigueur, mais il laisse subsister quelques-uns de ses inconvéniens les plus graves ; en sorte que les réformistes décidés, en dépit de sa facilité de mise en œuvre et des conquêtes déjà nombreuses et importantes qu’il a faites, n’y voient qu’un palliatif et demandent mieux que cela.

Que l’on pense de la représentation proportionnelle ce qu’on voudra, toujours est-il qu’il n’est pas aisé de voir comment la démocratie suisse, dans son évolution actuelle, y pourrait échapper.

Une condition est nécessaire, d’abord, à un pays doté du referendum : c’est que la composition des corps élus corresponde, à celle du corps électoral ; autrement, ce dernier rejette la plupart des matières soumises à son tribunal, et la machine politique se détraque. Or, l’expérience a démontré que cette harmonie n’existe pas en Suisse ; aussi le referendum y a-t-il pris un caractère

  1. Voir, entre autres, sur ce sujet, dans la Revue du 15 mai 1870, le Suffrage universel dans l’avenir, par M. Aubry-Vitet ; la Représentation proportionnelle (librairie Pichon), un monumental ouvrage publié par l’Association française pour la représentation proportionnelle, que préside M. George Picot ; de nombreux opuscules de M. Ernest Naville, le principal théoricien de la doctrine ; pour une vue d’ensemble, notre volume, le Contribuabl (librairie Alcan).