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dans des voies nouvelles. L’opinion, le progrès, la démocratie, entendez-vous ? comment résistera ces grands mots quand on craint d’être traité de rétrograde et qu’on se fait un point d’honneur d’être toujours du parti de l’avenir ? Ce ne sont pourtant que des mots, et il faut voir ce qu’ils veulent dire. Assurément, il est sage de consulter l’opinion publique, mais auparavant il convient de savoir où l’aller prendre. Ce ne sont pas ceux qui crient le plus fort qui la représentent le mieux. A côté de ces violens qui réclament toujours des innovations, il y a les paisibles qui voudraient bien qu’on leur laissât un peu de repos, qui souhaitent qu’on ne dérange pas trop leurs habitudes, qui se méfient de cette rage de nouveautés qui tourmente certaines personnes et qui, ne trouvant plus dans nos collèges ce qui se faisait de leur temps, vont le chercher ailleurs. La prospérité croissante des établissemens libres, qui continuent à enseigner comme autrefois et n’ont pas accepté nos réformes, semble bien prouver qu’elles ne satisfont pas tout le monde. Quant à la démocratie, dont on invoque si volontiers le nom quand il s’agit de détruire les institutions du passé, c’est son intérêt même qui devrait nous faire un devoir de les conserver. Dans la société du XVIIe siècle, le monde était une école où se complétait l’éducation du collège ; aujourd’hui que l’égalité des droits amène inévitablement l’uniformité des manières, où irons-nous chercher le goût de l’élégance, de la distinction, et toutes ces qualités charmantes qui sont le caractère et qui ont fait la gloire de la France, sinon dans le commerce des grands esprits du passé ? On nous laisse à la vérité Bossuet et Pascal : c’est beaucoup ; mais ne convient-il pas de remonter plus haut et jusqu’à la source où ils puisaient eux-mêmes, si nous voulons que l’ombrageuse démocratie ne nous abaisse pas tous à son niveau ? Plus le régime populaire nous tire vers le bas, plus il importe de conserver ce qui nous relève. C’est ainsi que l’enseignement des lettres anciennes, qui à la rigueur pourrait être un luxe dans les monarchies aristocratiques, me paraît un besoin impérieux dans les démocraties.

Ces idées n’ont rien de nouveau ; c’est un lieu-commun sur lequel il me semble inutile d’insister. Je suis sûr que la plupart des ministres, qui ont gouverné depuis vingt ans l’instruction publique, les tenaient pour vraies. Cependant il ne s’est guère passé d’année qu’ils n’aient fait quelque concession grave à ceux qui professent des opinions contraires. Ils avaient toujours à la bouche l’intérêt des études classiques, et ils n’ont cessé de prendre des mesures qui leur étaient fâcheuses. L’enseignement des langues anciennes a été supprimé ou réduit dans les classes inférieures. La composition latine a perdu le prestige dont elle jouissait au concours général. On l’a ôtée du baccalauréat ; il a même été