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désertent l’enseignement classique ; et comme, à cet âge, ils ne pouvaient pas entrer tout de suite en mathématiques élémentaires, on avait créé une classe particulière pour eux, qu’on appelait les mathématiques préparatoires, et où l’on faisait tout juste assez de latin pour que l’élève fût capable de traduire tant bien que mal une version, quand il lui faudrait passer son baccalauréat ès-sciences. Qu’il y eût là quelques réformes à faire, il est difficile de le nier. « Ce n’est pas assurément un système d’études bien organisé pour la culture méthodique et progressive de l’esprit que celui qui, faisant du latin, depuis la sixième jusqu’à la troisième, le centre et l’instrument principal de l’éducation, réduit tout à coup presque à rien cette étude (une classe par semaine) et invite en quelque sorte à la dédaigner, au moment même où elle était au point de porter le plus de fruit[1]. » Il était donc naturel qu’on se dît qu’une organisation pareille, qui force à dépenser sans profit tant d’efforts et de temps, était vicieuse, et qu’on pouvait lui en substituer une autre, qui serait plus logique et plus profitable. « Au lieu d’entreprendre, puis, à moitié route, d’abandonner presque entièrement l’étude du latin et du grec, ne vaudrait-il pas mieux prendre franchement, dès l’origine, le parti de s’en passer, à condition qu’on ne s’en passerait que pour élargir, fortifier et prolonger d’autant la part et l’action de tous les autres élémens de l’éducation littéraire, esthétique et morale : langues vivantes, histoire et philosophie. Il a paru qu’un tel système, appliqué suivant les méthodes classiques, par des maîtres formés eux-mêmes à ces méthodes, et trouvant à la fin sa sanction dans un baccalauréat organisé sur ce même plan et dans ce même esprit, ne donnerait guère lieu de regretter le précédent. » Voilà, en quelques mots, ce qu’on a voulu faire, et comment est né « l’enseignement moderne. »

Il me semble pourtant que le régime ancien, quoique assurément peu regrettable, avait un avantage qui n’est pas sans quelque importance. L’élève ne quittait l’enseignement classique qu’à quatorze ou quinze ans. Il avait vu assez de latin et de grec pour savoir qu’il n’y prendrait jamais aucun goût ; on lui avait assez montré de mathématiques pour qu’il fût certain qu’il était apte à les comprendre. Il se prononçait donc, entre les lettres et les sciences, en connaissance de cause. A la vérité, il avait payé cette expérience un peu cher, par la perte de quelques années de travail (en supposant qu’elles fussent perdues) ; mais au moins il savait ce qu’il faisait. Aujourd’hui, c’est à douze ans qu’il doit se décider. Ces deux routes qui se présentent à lui, il n’y a jamais mis les pieds, il ne les a vues

  1. Je cite ici et plus loin les termes mêmes de la note qui précède le projet de réorganisation de l’enseignement secondaire spécial.