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Le premier résultat de ce travail a été de rompre définitivement les derniers liens qui attachaient l’enseignement nouveau à celui de M. Duruy. Les modifications qu’on lui avait déjà fait subir l’en avaient rendu sans doute très différent ; mais on n’osait pas l’avouer encore ; on voulait continuer à se mettre sous ce patronage protecteur. A la fin du rapport qui annonce les réformes de 1886, on lit encore ces mots : « Au moment où une nouvelle constitution va être donnée aux études spéciales, il ne faut pas les laisser oublier leur origine ni leur destination. Créées en vue des besoins de l’agriculture, du commerce et de l’industrie, c’est à ces besoins qu’elles doivent se faire honneur de répondre. Toute autre visée fausserait la direction de l’enseignement et en compromettrait le succès. » Aujourd’hui on laisse entendre ouvertement qu’il a des ambitions plus hautes. C’est un enseignement tout à fait parallèle à l’ancien, de même nature et de même importance, qu’il s’agit de fonder. Et d’abord, au lieu de parler « des besoins de l’agriculture, du commerce et de l’industrie, » on déclare qu’il est fait surtout pour les jeunes gens qui se préparent à entrer dans les grandes écoles scientifiques, et qu’il convient de l’approprier à cette destination.

Veut-on dire que l’enseignement ancien fut incapable de former des gens de sciences et de préparer des candidats aux écoles de l’État ? Assurément non, car il a longtemps suffi à cette tâche, et l’on ne voit pas que ceux qui ont passé par cette école aient eu à le regretter. Sans doute, il leur fallait d’abord achever leurs classes et traverser la rhétorique et la philosophie, ce qui retardait un peu le moment où ils abordaient leurs études spéciales. Mais ils y arrivaient avec un esprit plus ferme, mieux préparé, et ils y faisaient en somme des progrès plus rapides que s’ils y étaient entrés de plain-pied et dès le premier jour. Encore aujourd’hui on remarque, à l’École polytechnique et ailleurs, que les élèves qui ont fait de bonnes études littéraires sont en général aux premiers rangs. Ce qu’il y aurait donc de plus sage, et peut-être de plus sûr, pour ceux qui veulent parcourir les carrières scientifiques, ce serait de prendre l’ancien chemin, celui qu’ont suivi nos plus illustres savans, les d’Alembert, les Cuvier, les Bertrand, les Berthelot, les Pasteur, et qui les a menés si loin et si haut. Mais la jeunesse de nos jours aime les routes plus directes ; elle est pressée et inquiète. Ce qui jusqu’à un certain point justifie son empressement, c’est que toutes les carrières sont encombrées, que, quoi qu’on veuille faire, on est sûr de rencontrer tant de concurrens devant soi qu’il semble qu’on ne se prépare jamais assez tôt pour les dépasser. Voilà comment il arrive que sur 1,600 élèves, qui peuplent nos classes de mathématiques spéciales, il n’y en a que 229 qui aient fait leur philosophie. En général, c’est vers la troisième que ces impatiens