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enseignement qu’on appelle spécial, ce qui veut dire apparemment qu’il doit se rapporter à certains métiers particuliers, on lui attribue ailleurs la mission de donner à l’enfant une éducation générale, qui le prépare à toutes les situations de la vie. Tantôt, on déclare « qu’il est fait pour communiquer à la jeunesse des connaissances qui soient communes aux diverses professions ; » tantôt « que les sciences n’y doivent être enseignées qu’à un point de vue tout à fait usuel, et dans leurs rapports avec l’agriculture et l’industrie. » Ces contradictions sont la preuve que l’enseignement spécial fut, dès son début, tiraillé entre des tendances contraires. Il avait allaire à une clientèle nombreuse, très variée, à des gens dont la position sociale n’était pas la même et qu’il ne pouvait pas satisfaire de la même façon. Suivant qu’il s’adressait aux uns plutôt qu’aux autres, il devait prendre un caractère différent.

Il est visible que M. Duruy s’était surtout préoccupé des plus humbles, de ceux qui sont les plus voisins de l’école primaire. Le maximum de quatre années, qu’il fixe à son enseignement spécial, montre bien qu’il est destiné à ceux qui, comme il dit, ne disposent pas d’un grand capital de temps et d’argent. Encore a-t-on prévu le cas où cette période de quatre ans paraîtrait trop longue, et, si les nécessités de la vie les y forcent, on leur ménage les moyens de la raccourcir. En si peu de temps, on n’a guère le loisir d’apprendre des curiosités ; aussi M. Duruy insiste-t-il partout sur le caractère pratique et presque professionnel qu’on doit donner aux études. « Je ne crois pas, dit-il, qu’il soit possible de mettre l’atelier dans l’école, au moins dans les nôtres ; mais je pense qu’on peut faire au collège spécial l’éducation de la main, comme on y fera, par la musique, celle de l’oreille, par le dessin, celle des yeux, par la gymnastique, celle du corps tout entier. Je trouverais donc excellent qu’on habituât les élèves à manier quelques outils, non pas en vue de leur apprendre un métier, mais afin que leur main, exercée à tenir le marteau ou la lime, le rabot du menuisier ou le ciseau du tourneur, fût prête pour les travaux de l’apprentissage, comme leur esprit le sera pour ceux du bureau ou du laboratoire. » Ce sont donc, sinon des contremaîtres, au moins des chefs d’atelier, des directeurs d’usine, des gérans de fermes agricoles, que M. Duruy veut surtout former. L’enseignement qu’il a créé s’adresse à des gens qui sont au-dessus des ouvriers, mais tout près d’eux.

C’est justement vers le côté contraire que nous nous sommes tournés. L’enseignement spécial, comme nous l’avons fait, ou défait, n’a pas autant le caractère professionnel et pratique que celui de M. Duruy ; il n’y est plus question du rabot et de la lime. On voit bien qu’il est destiné à des classes plus élevées ; nous