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Farnèse est un homme qui, après avoir connu la fatigue et l’effort, est en passe de devenir dieu. Les bustes d’empereurs et d’impératrices, de rois et de reines, de philosophes et de savans, de bourgeois et de bourgeoises, qui peuplent nos musées, représentent les parvenus de l’immortalité, à qui leur illustre aventure semble toute naturelle. La sculpture est, de tous les arts, celui qui a le plus fait pour accroître l’importance des individus et pour que l’homme se sentît l’égal de la puissance qui le détruit. Mais la nature ne s’en doute point : elle est trop occupée à faire et à défaire des mondes.

La nature est un prodigieux dessinateur et un incomparable coloriste. Elle a fait le ciel et ses nuages ; elle a fait la terre, ses rochers, ses arbres, ses fleurs, ses scarabées, ses colibris et ses paons. C’est elle qui donne à ses printemps leurs verts et leurs gris, qu’elle varie de cent façons ; c’est elle qui dore les automnes et blanchit les hivers, comme les cheveux des vieillards. Mais les splendeurs et les exquises merveilles qu’elle déploie sous nos yeux, elle veut bien nous permettre de les voir, elle ne nous les montre pas. C’est la peinture qui nous les montre. Il y a, nous le savons, des accidens heureux, et il arrive quelquefois que, dans les scènes des champs ou dans les paysages de la vie humaine, l’objet dont nous sommes le plus curieux vient s’offrir de lui-même à notre regard et, en quelque sorte, nous appelle à lui. Ce que la nature ne fait que par cas fortuit, le peintre le fait toujours et de propos délibéré. Tandis qu’un ouvrage de sculpture n’est éclairé que du dehors, le peintre éclaire les siens du dedans, et cette lumière intérieure, qu’il crée lui-même, il la ménage à sa convenance, il distribue comme il l’entend ses clairs, ses obscurs, et ses vigueurs.

Une Suédoise, qui s’intéressait beaucoup au roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV, avait séjourné quelque temps à Berlin dans l’espérance de le contempler un jour de près et commodément. Elle le vit une première fois comme il ouvrait la session de ses chambres ; il était dans l’ombre et à peine visible, et les députés se détachaient en pleine lumière. Elle le revit passant une revue ; il lui tournait le dos. La veille de son départ, elle le rencontra se promenant en voiture découverte. Il faisait un froid piquant et une grosse cravate lui cachait la moitié de la figure ; l’autre moitié n’avait rien de royal : un souverain qui grelotte ressemble beaucoup à un pauvre. Méprisant les intempéries, le cocher se carrait avec majesté sur son siège ; en ce moment, c’était lui qui régnait. Dans toute peinture, qu’il s’agisse d’un tableau d’histoire ou de dévotion, d’une scène de genre, d’un portrait, d’un paysage, d’une nature morte, il y a un objet principal et dominant que tout le reste accompagne, et le peintre s’étudie à mettre