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avec l’Italie. Elle s’y croit intéressée. Elle voit dans ses arrangemens avec l’Italie une garantie de sa domination en Égypte : elle voit aussi dans la triple alliance une force éventuelle contre la Russie. C’est le secret de sa diplomatie et de ses démonstrations. Il ne s’ensuit pas précisément, si l’on veut, qu’elle ait signé au traité, qu’elle ait des engagemens précis et écrits. Ce n’est pas son habitude : Sir James Fergusson n’a pas eu de peine à rassurer sur ce point la chambre des communes. Cela signifie simplement que l’Angleterre est une alliée sans être une alliée, qu’en approuvant tout, elle se réserve de mesurer son action à ses intérêts, qu’elle entend rester l’arbitre des événemens, avec une apparence de neutralité. Elle sent bien que si, à l’heure qu’il est, elle allait au-delà, elle créerait aussitôt une situation redoutable ; elle déciderait le partage de l’Europe en deux camps, — et c’est ce qu’elle ne veut pas. L’inconvénient de cette politique, qui, après tout, ne trompe personne, est seulement de raviver le sentiment de l’incertitude universelle, d’ébranler la confiance dans la paix en prétendant la protéger.

Il en sera ce qui pourra ou ce qu’on voudra. Pour le moment, il faut l’avouer, l’Europe, dont on joue les destinées, assiste à un singulier spectacle. On signe des traités pour renouveler l’alliance de forces colossales de guerre. Les souverains voyagent à la recherche de la popularité pour leur politique, une politique qui reste une énigme, si elle n’est pas une menace. Les commentaires sur l’état de plus en plus précaire du monde se succèdent. Et pendant ce temps, comme pour ajouter à la représentation du jour, les escadres se promènent sur les mers. Récemment encore, une escadre anglaise était dans l’Adriatique : elle allait devant Fiume saluer l’empereur d’Autriche, qui a répondu fort galamment à la politesse de la reine Victoria. L’amiral britannique est allé de là devant Venise saluer le roi d’Italie, qui lui a répondu avec la même bonne grâce. C’était au lendemain du renouvellement de la triple alliance ! D’un autre côté, une escadre française s’est dirigée sur la Baltique. Elle s’est arrêtée devant Copenhague, où elle a reçu les témoignages de la sympathie des populations et du roi lui-même. Elle va devant Cronstadt, où les Russes paraissent lui avoir préparé une réception chaleureuse. — Bien entendu, tous ces braves marins de toutes les nations, dispersés sur les mers avec des missions différentes, voyagent pour le bien de la paix ! Tout le monde travaille pour la paix ! Et, tout bien compté, ce sera fort heureux pour le monde si la paix finit par triompher des politiques, qui s’entendent si bien à la préparer et à la protéger 1


CH. DE MAZADE.