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bout des déclarations qu’il avait préparées, sans doute pour annoncer le nouvel acte diplomatique auquel il avait souscrit : il a soulevé un orage ! Par le fait, la chambre a été obligée de se séparer sans avoir pu donner le vote de confiance qu’on aurait désiré, et, depuis la séparation du parlement, les manifestations hostiles se sont succédé à Rome comme dans d’autres villes italiennes. Ce ne sont là, dira-t-on, que des protestations isolées ; on ne pouvait pas s’arrêter devant l’opposition d’une minorité ! Oui, sans doute, c’est bien entendu, cela n’a rien empêché. L’Italie est plus que jamais engagée ; après être entrée il y a dix ans dans la triple alliance sous les précédens cabinets, elle y reste de propos délibéré, par la volonté du nouveau ministère. S’il y a eu quelque crise intime, elle est passée : comme l’a dit l’empereur Guillaume avec l’empressement de l’orgueil satisfait, c’est décidé et signé !

Eh bien ! soit, c’est fait, puisqu’on le dit. La triple alliance est renouvelée pour six ans, probablement dans les mêmes conditions. C’est pour garantir la paix, assure-t-on ; naturellement, c’est pour maintenir la paix comme on l’entend ! Ce n’est pas tout : on a fait ce qu’on a pu pour relever le lustre ou accentuer la signification d’un tel événement en provoquant une sorte de démonstration de l’Angleterre, — et l’Angleterre elle-même s’y est prêtée en envoyant son escadre saluer l’empereur d’Autriche à Fiume, le roi d’Italie à Venise, tandis qu’elle se disposait à recevoir l’empereur Guillaume à Londres. La fête est complète ! Qu’en faut-il conclure ? c’est qu’en vérité il n’y a rien de changé ; c’est que les cabinets, dont l’alliance pèse depuis quelques années sur l’Europe, restent avec les mêmes desseins, les mêmes calculs,.les mêmes arrière-pensées. Le renouvellement de la triple alliance, de cette alliance qui cherche encore à s’étendre, ne fait que prolonger une situation compliquée, fausse pour tout le monde, menaçante par les ressentimens qu’elle suscite ou qu’elle entretient et par les combinaisons qu’elle provoque. Ils l’ont voulu, ces étranges coalisés, ils ont même tenu à ne point attendre, pour se lier de nouveau, l’échéance de leur pacte ; ils ont cru faire une démonstration de force ou de constance dans leur politique : ils n’ont réussi qu’à perpétuer, à aggraver sans doute l’incertitude dans les affaires de l’Europe. Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que, sous les dehors d’une alliance raffermie, il n’y a que des divergences d’intérêts, de vues et de mobiles.

Que l’Allemagne ait tenu à hâter le renouvellement de l’alliance, rien n’est plus simple : c’est elle qui l’a imaginée, qui la dirige, qui en demeure la régulatrice omnipotente ; elle y voit la défense de ses conquêtes, l’attestation éclatante de sa prépondérance en Europe. Que l’Autriche, sans y mettre d’enthousiasme, se soit prêtée à ce qu’on lui a demandé, on peut l’admettre à la rigueur : l’Autriche trouve ou croit trouver dans l’alliance centrale une garantie contre les tracasseries italiennes à Trieste ou contre les retours offensifs de l’influence russe