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Il y a quelques mois, cet hiver, c’était à propos de Thermidor ; hier encore, c’était à l’occasion d’une statue de Danton, qu’on élève en plein Paris, à deux pas de l’Abbaye, et qui a provoqué une interpellation au sénat. Au fond, dans tout cela, on cède à des passions factices, à des pressions de faction : on se prête à tout, de peur de se compromettre en paraissant désavouer quelques-uns des souvenirs des temps révolutionnaires.

Eh ! sans doute, la société française telle qu’elle existe aujourd’hui est en grande partie l’œuvre de la révolution. Bien et mal, idées humaines et vulgaires fanatismes, institutions bienfaisantes et traditions violentes, tout vient de là. C’est la grande et redoutable date d’un mouvement qui n’est même pas resté uniquement limité à la France, qui a gagné le monde entier. Il est accompli désormais, ce mouvement, il est si bien accompli que dans notre société nouvelle il n’y a pas une apparence de contestation sérieuse et que des princes eux-mêmes se sont dits quelquefois les fils de la Révolution. Après cela, on n’a pas apparemment la prétention de nous imposer la superstition de ce qu’on a pittoresquement appelé le « bloc ; » on n’a pas sans doute la singulière arrogance de vouloir forcer des Français d’aujourd’hui à abdiquer la liberté de leur esprit, à tout subir, à tout confondre, les malheurs et les crimes, les exécuteurs et les victimes, les massacres de l’Abbaye et les grandes réformes de la société civile, la terreur et l’héroïsme des soldats de Sambre-et-Meuse. On aurait beau être le conseil municipal de Paris ou le chef d’un bataillon radical au parlement, on n’imposera pas cette répugnante confusion. Que, dans ces formidables crises, les catastrophes qui se succèdent prêtent à toute sorte d’explications, d’interprétations, de commentaires plus ou moins passionnés, c’est possible. Que parmi les personnages qui furent jetés dans cette fournaise, qui attachèrent leur nom à quelques-uns des actes les plus sanglans et se dévorèrent entre eux, il y ait à distinguer, à préciser les rôles et les caractères, c’est encore possible : c’est l’affaire de l’histoire, c’est à l’histoire et à l’histoire seule d’apprécier et de juger, de faire la part des fatalités, des entraînemens et des responsabilités, de dégager la vérité de toutes les contradictions. La controverse est ouverte depuis un siècle, elle dure encore, — elle n’est point épuisée, puisqu’après avoir été si souvent agitée entre les historiens de cette tragique époque, elle se reproduisait hier encore devant le sénat entre M. Wallon, armé de ses documens, et M. le pasteur Dide portant dans ce débat un témoignage plus véhément que décisif. Qu’on accuse ou qu’on essaie de réhabiliter les acteurs du grand et sinistre drame, ils restent dans tous les cas des personnages contestés, à la mémoire douteuse ou équivoque, sur lesquels le dernier mot n’est pas dit, qui appartiennent à la justice historique plus qu’à un parlement.

Historiquement, ce n’était pas au sénat de se prononcer.