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restât plus que les décombres à peine refroidis. Des orifices de puits de mines annoncés par la traditionnelle roue de benne, et là-dessous l’on rêve d’une population d’hommes aveugles, de Troglodytes travaillant dans la nuit, dégorgeant sans cesse au dehors le charbon que leurs frères d’en haut réduisent en fumée, et le minerai qu’ils mettent en fusion ; on rêve de villes souterraines étranges, les unes animées, vivantes, les autres désertes, abandonnées. Le sol, au dehors, s’affaisse, s’écroule en maints endroits ; des usines entières sont lentement englouties par l’abîme invisible. Ici, c’est une longue cheminée dont il n’apparaît plus que l’orifice supérieur ; là-bas, c’est toute une rangée de maisons qui penche vers la mine, glissant vers le précipice deviné.

De rues, point ; des boîtes de briques jetées à l’aventure sur un amas de crasse industrielle ; des canaux étroits, pleins d’eau sale, semblables à de longues égratignures sur la peau rugueuse d’un pachyderme, sillonnent ces vallées hideuses ; par endroits, le sol s’est effondré tout autour, le canal reste suspendu au-dessus du sol entre deux digues minces, aérien et prêt à crever. Le chemin de fer, par un miracle d’équilibre et de prévoyance, reste stable au milieu des ruines ; mais le train n’avance qu’à pas comptés et inquiets sur ce terrain miné.

Et à perte de vue ce spectacle désolé. Nulle part la nature n’a été saccagée, démembrée, violée avec une fureur aussi opiniâtre. Il est impossible d’imaginer, sans l’avoir vu, un désert plus artificiel, un chaos plus contre nature.

Des enfans jouent au milieu de ces débris informes ; autour d’eux, au-dessus des mines, sur des tas de décombres abandonnés, pousse une herbe maigre, une gale verdâtre : c’est tout ce qu’ils connaissent de la belle et clémente nature…

Après Wolverhampton, tout à coup, sans transition, la plantureuse campagne anglaise reparaît comme sous un coup de baguette magique : les prés verts et jaunes, avec les haies vives toutes poudrées du givre des aubépines fleuries ; des collines naturelles couronnées d’arbres séculaires, une atmosphère pure : la vie après la mort. Le cauchemar est passé, mais inoubliable…


MAX LECLERC.