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la mortalité de la décade 1870-1879 s’était maintenu pendant la décade suivante, 19,200 personnes qui étaient encore en vie au commencement de 1890 seraient mortes pendant les dix ans qui ont précédé. Et, si l’on adopte les vues du docteur Farr, qui évalue la vie humaine à 159 livres sterling en moyenne, le capital sauvé de la sorte n’est pas moindre de 3,052,800 livres sterling.


III

Voilà pour les progrès accomplis dans l’ordre matériel ; passons à l’ordre moral.

L’esprit public est excellent à Birmingham : aussi bien avons-nous vu que cette démocratie savait distinguer les meilleurs, les plus utiles et les plus capables, pour les mettre à sa tête et les y maintenir. Les distinctions de classes sont ici moins apparentes et, en réalité aussi, beaucoup moins tranchées que partout ailleurs en Angleterre. Il y règne une plus grande solidarité sociale ; le grand industriel fraie avec le boutiquier ; les membres des professions libérales avec les commerçans ; et l’ouvrier qui s’élève au rang d’artisan est sûr, s’il est bien doué et s’il a de l’esprit de conduite, si d’ailleurs la chance ne le combat pas, de devenir patron un jour. D’autre part, une longue et universelle pratique du self-government, au sein d’une grande communauté pourvue d’intérêts complexes et élevés, a rendu les citoyens plus intelligens des affaires de la cité, puis de l’État. Par une aptitude de race ou par un bonheur de son histoire, l’Anglais, et en particulier le citoyen de Birmingham, est noblement jaloux de ses droits : il les exerce, non pas par pure satisfaction de vanité, mais par conscience qu’il remplit un devoir, par une sorte d’intuition ou d’amour du bien public, d’instinct qui le pousse à consacrer un peu, parfois même beaucoup de son temps aux affaires de sa corporation de métier, de son association coopérative, de son district, de sa cité, de son pays.


L’harmonie qui règne dans l’administration municipale est sans doute l’image, concentrée en quelque sorte et plus intense, de l’état social dans la cité. Un détail jettera quelque jour sur ces mœurs. J’arrive un soir pour dîner chez un ami, un Français fixé ici depuis trente ans. Il a deux servantes : l’une, la Nurse, la bonne d’enfans, part le soir même en vacances ; elle va faire un séjour de trois semaines chez des amis dans le nord de la France ; — le tour de la cuisinière viendra : elle ira au bord de la mer avec des amis. Le service, pendant plusieurs semaines, est rendu singulièrement difficile ; les maîtres se servent un peu plus eux-mêmes ; mais ils trouvent cela tout naturel, et même désirable : Qui n’a besoin de se