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une petite église qui avait son langage et ses rites, inintelligibles aux profanes, c’est-à-dire à presque tout le monde.

Tel est précisément le caractère de l’école des stylistes. Elle compta d’illustres représentans, comme Salluste et Sénèque, Tacite et Apulée. Mais, par ses tendances, elle hâta certainement la dislocation de l’idiome savant. Rien, maintenant, ne contenait plus la fantaisie des écrivains : dans les rapports de la vie on n’employait plus jamais que le latin vulgaire, et, si l’on avait parlé comme Sénèque ou comme Tacite, on n’aurait pas été compris dans les rues de Rome. La langue littéraire était chose de convention et d’apparat. Chacun la façonnait à sa guise ; on en tirait des effets nouveaux, originaux, au grand profit du talent individuel, mais au grand détriment de la langue elle-même. Salluste avait ouvert la voie : il s’était composé un style très personnel, où l’idée rayonnait en petites phrases courtes, à peine liées entre elles, mais juxtaposées par un caprice d’imagination. C’était absolument l’opposé du procédé cicéronien, auquel avait abouti l’évolution du latin savant ; et l’on ne pouvait obtenir ces effets de style qu’en faisant violence à la structure même de la langue. Ce fut d’abord une tentative isolée. Mais plus tard Sénèque reprit à son compte la méthode de Salluste. En vain Quintilien défendit la tradition ; il tenta de sauver la période en la rendant plus souple ; il réussit ainsi à se composer une langue correcte et élégante, d’ailleurs aussi factice que celle de Sénèque. Quintilien eut des imitateurs, ceux qu’on peut appeler les néo-cicéroniens. Mais l’avantage resta décidément aux novateurs, aux stylistes. Ce qui les caractérise, c’est la poursuite du nouveau en toute chose, le goût de l’expression poétique, des héllénismes, de la phrase courte et hachée, du pittoresque, du trait d’esprit, de l’antithèse, une préciosité qui va parfois jusqu’au baroque. Ils aiment le néologisme et l’archaïsme, les termes étrangers, les abstractions, l’argot et les façons populaires. Ils tourmentent si bien le vocabulaire que les mots s’usent plus vite encore, que les locutions les plus hardies à l’origine deviennent promptement banales, qu’il faut redoubler les prépositions, que les verbes simples cèdent la place aux verbes composés. Tout est combiné, dans la phrase, en vue d’un effet à produire : on supprime les liaisons, on bouleverse les constructions, on donne à l’adjectif un relief extraordinaire, on abuse du participe absolu, on emploie l’infinitif après n’importe quel verbe, on inaugure une nouvelle syntaxe. Tous ces procédés étaient en contradiction avec le développement naturel du latin savant, dont les stylistes, malgré tout leur talent, annoncent et précipitent la ruine.

Un autre signe de cette désorganisation, c’est la manie de l’archaïsme. C’est encore Salluste qui le mit à la mode. Plus tard, au