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cette pointe du Raz, extrémité du monde occidental, qui lance au beau milieu de l’Atlantique un dernier et formidable écueil dont la sauvagerie avait déjà frappé d’une terreur religieuse les voyageurs anciens.

Enfermé entre ses côtes comme dans une forteresse, le Finistère offre à l’intérieur les vallées les plus vertes, les coins les plus exquis de la Bretagne, comme les bords de l’Isole et de l’Ellé chantés par Brizeux. Quimper, avec son élégante cathédrale ouvrée à jour, est niché dans un frais bassin de collines boisées ; du haut du Mont-Frugy on voit l’Odet serpenter dans une mer de forêts mamelonnées. Cependant, en Bretagne, le grand personnage, le maître, le tyran de la terre et des hommes, c’est l’Océan. On devine partout sa présence, même quand on ne le voit pas. On le sent dans ces rivières brunes et noires, où le reflux remonte quelquefois à dix lieues, où des goélettes sont attachées sur les quais ou couchées sur la vase comme des cormorans malades. On le sent dans l’arbre tordu et ployé par la tempête, dans le vent salé qui crispe la lande, dans l’oiseau de mer qui vient y chercher le brin d’herbe pour son nid. On le rencontre dans ces marins aux yeux francs et hardis, à la chemise rabattue, au col nu brûlé par le soleil, la fleur et l’orgueil du pays, qui se promènent dans les villages de l’intérieur ; il revient sans cesse dans la conversation des vieilles accroupies au seuil des chaumes et des hommes assis sous les portes des petits cabarets, la pipe aux dents, le bonnet de laine sur l’oreille. On le retrouve, l’inévitable Océan, jusque dans l’église où prient les femmes agenouillées. Car suspendues à la voûte de la nef, en ex-voto, voici une foule de navires, aux flancs rouges et noirs, destinés à obtenir la protection de la Vierge, de l’Étoile de mer. Ne sont-ce pas les barques de l’Isis égyptienne ? Ah ! pour les yeux qui les regardent, que d’âmes ils ont menées dans l’autre monde, ces navires poudreux !

Il a son sourire aussi, le dieu terrible, et c’est dans la baie de Douarnenez qu’il faut aller le chercher. Une sirène, cette baie, lorsqu’on sort du port pour errer sur ses plages, où des sources claires filtrent des granits noirs, où les sveltes lavandières descendent sur les sables fauves ; une sirène dangereuse avec ses lointains fuyans, avec les lignes cadencées de ses anses et de ses caps, où, par les beaux soirs de pourpre et de safran, les ondes du large se brisent et chantent dans une coupe de saphir. C’est là que la tradition la plus accréditée place la ville d’Ys, la cité submergée. Mais avant de raconter son histoire, allons trouver l’Océan là où il règne dans sa souveraineté absolue. On atteint la pointe du Raz, depuis Audierne, par l’intérieur des terres. D’abord, quelques fonds de verdure, et,