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secoué par la lame. Déjà la Loire submergée n’est plus ; on roule sur l’océan. C’est ainsi qu’à l’embouchure du fleuve, la France de la renaissance et du moyen âge se perd peu à peu dans un autre monde, plus ancien et plus rude.

De Saint-Nazaire au Croisic, la côte et la race bretonne apparaissent. De larges plages blanches et fauves, en sable fin, encadrées de rochers qui s’écroulent dans la mer en escaliers de géans. Des dunes, encore des dunes, où l’herbe maigre essaie en vain de pousser. Sur l’une d’elles s’élève en redoute le village de Bourg-de-Batz. Montons sur le clocher de l’église, une tour de soixante mètres, terminée en coupole, qui domine au loin le pays. Le soleil de juillet brûle les sables, et partout un vent froid souille du large, chassant des brumes lumineuses sur la mer échevelée. La terre plate, pailletée de flaques d’eau carrées, continue la mer à perte de vue. Ce sont les monotones marais salans. Ce pays, conquis sur la mer, faisait jadis partie de l’archipel des Vénètes, que César vint battre ici avec sa flotte. La dune même qui porte le village de Bourg-de-Batz aurait été alors, selon la tradition, cette île où les prêtresses namnètes se livraient à des danses nocturnes qui épouvantaient les navigateurs, et d’où elles partaient mystérieusement dans leurs barques pour rejoindre leurs époux par les nuits de pleine lune. Le castrum romain a chassé les sorcières gauloises de leur retraite. Aujourd’hui l’église chrétienne s’y dresse hautaine et solitaire. Je remarque que le chœur en est singulièrement bâti. Au lieu de continuer en droite ligne la nef, il oblique à gauche. On sait que par cette structure, les architectes du moyen âge voulurent imiter la tête du Christ penchée sur la croix. Elle est plus fréquente en Bretagne qu’ailleurs et trahit certainement le goût inné de cette race pour le symbolisme et la piété attendrie qu’elle apporte dans son sentiment religieux.

Bourg-de-Batz était célèbre autrefois par ses costumes multicolores et ses mœurs originales. On ne se mariait qu’entre gens du bourg et c’étaient les jeunes filles qui faisaient les demandes de mariage par l’intermédiaire du tailleur. Une ronde furieuse des femmes autour des feux de la Saint-Jean y rappelait encore les danses des prêtresses gauloises. Aujourd’hui, tout cela disparaît peu à peu devant la civilisation envahissante des stations balnéaires. Une vieille femme me montre pour quelques sous, dans sa maison, une collection d’affreuses figures de cire affublées de costumes de noce et me vend une chanson populaire imprimée. Musée, imprimerie, exploitation, voilà bien la fin des mœurs originales. Ici, comme dans le reste de la Bretagne, deux types parfaitement distincts me frappent dans la population, le type brun à pommettes saillantes,